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très bien l’Allemagne, et il l’aime. On lira non sans plaisir dans son recueil plusieurs études spirituelles et colorées sur le moyen âge de ce pays, qui a été le moyen âge par excellence. Le diplomate aurait menti à son origine et à son sang, s’il n’y avait pas beaucoup appris. Quant au poète, il est visible qu’il a fait son profit de ce qu’il a vu et entendu; mais quand M. Lytton serait le plus habile germanisant, il le serait à la suite de Shelley. Qu’importe ici la source des idées? Celui qui a donné l’exemple d’y puiser est le vrai maître du poète.

Keats, plus généralement imité, plus à portée aussi de l’imitation, n’est pas difficile à retrouver dans la trame des poésies de M. Lytton. Sa manière se trahit, elle éclate, pour ainsi dire, dans les deux pièces de Gygès et Candaule et de Mahel May. La première est une étude d’après le maître, la seconde une fantaisie à la manière des disciples. C’est dans cette dernière que l’auteur des Chroniques et Caractères nous semble surtout rivaliser avec les spasmodiques. Nous la tenons pour un échantillon du genre, et à ce titre on nous en permettra l’analyse. A quel degré de raffinement atteint la sensibilité du poète, on le voit par l’énoncé même du sujet. Que Mabel May soit la beauté ou l’amour, que ce nom désigne l’idéal du poète ou une femme réelle, une femme qu’il puisse voir et qu’il puisse aimer, sa première rencontre avec elle produit en lui l’effet d’un éblouissement douloureux; il la désirait et il la fuit; il avait invoqué, appelé de ses vœux et de ses cris cette céleste vision, et, quand elle s’élève sur l’horizon de sa vie, il n’en peut supporter la splendeur. Le bonheur divin, la pleine jouissance des yeux et de l’âme, sont au-dessus de ses forces : il fuit, il se replonge en ses ténèbres et retourne aux vulgarités, aux sécheresses, aux misères de l’existence; mais ce n’est pas en vain que l’homme entrevoit les dieux. La splendide vision l’accompagne désormais, et dore autour de lui d’un rayon tout ce qui était terne et désolé. Elle descend avec lui dans le vallon, adoucie pour ses yeux débiles. Vue de trop près, elle le faisait souffrir; de loin, elle lui rend la lumière et la joie. Telle est la pensée du poète; voici le cadre où il l’enferme. Cette aventure poétique et psychologique, il la raconte à cette personne idéale dont le nom de Mabel May revient trois fois dans chacune des stances. Il était las, dit-il, de la série de luttes qu’on appelle la vie, lorsqu’il gravit une montagne escarpée, aride, au milieu des humides nuages, attendant le jour qui ne se faisait pas. Son cœur battait du désir d’aspirer la lumière, de se précipiter, s’il le pouvait, au foyer du soleil. Tout à coup l’astre apparaît, l’inonde de ses feux, et voilà que sa joie trop grande est devenue un supplice. Il redescend la montagne, accablé de tant de force, aveuglé de tant de lumière, cherchant les sentiers les