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Cambacérès était plus dans la vérité des choses quand il se bornait à établir que, suivant la théorie du droit moderne, un souverain pouvait en appeler à la même juridiction qui avait qualité pour décider dans les cas analogues sur les réclamations de ses sujets ; mais un pareil tribunal, s’il était en effet compétent, était-il aussi doué d’une suffisante indépendance ? Cela était une tout autre question, que l’archi-chancelier se garda bien de soulever. La vérité est que ce tribunal n’existait même pas ; on le créa pour la circonstance, et du même coup on organisa à la fois trois officialités différentes, l’une diocésaine, l’autre métropolitaine et la troisième primatiale. Cette dernière était ainsi appelée à cause du titre de primat des Gaules que le cardinal archevêque de Lyon venait alors de reprendre[1]. L’établissement de ce triple degré de juridiction était un fait entièrement nouveau, que ne justifiait aucun principe du droit ecclésiastique, mais qui avait paru utile à l’archi-chancelier pour donner à la décision plus de poids aux yeux du public[2]. Quelle liberté allait être laissée aux membres du clergé appelés à composer ces trois tribunaux différens ? On va le voir.

Le 22 décembre 1809, les deux officiaux de Paris, MM. Lejeas et Boislesve, et les deux promoteurs, MM. Corpet et Rudemare, furent invités à se rendre le jour même chez l’archi-chancelier, qui avait auprès de lui le ministre des cultes. « Par un article inséré au sénatus-consulte du 16 de ce mois, dit Cambacérès, je suis mis en demeure de poursuivre devant qui de droit l’effet des volontés de sa majesté. L’empereur ne peut espérer d’enfans de l’impératrice Joséphine ; cependant il ne saurait, en fondant une nouvelle dynastie, renoncer à l’espoir de laisser un héritier direct qui assure l’intégrité, la tranquillité et la gloire de l’empire. Il est dans l’intention de se marier et d’épouser une catholique ; mais son mariage avec l’impératrice Joséphine doit être auparavant annulé, et son intention est de le soumettre à l’examen et à la décision de l’officialité. » Il était impossible d’être plus humblement soumis et plus sincèrement dévoués à l’empereur que ne l’étaient les membres du clergé de Paris auxquels s’adressait en ce moment la harangue du prince archi-chancelier, et peut-être n’avait-il pas lui-même oublié les paroles pleines de déférence et d’admiration laudative que le plus considérable d’entre ces messieurs, l’abbé Lejeas, premier vicaire de l’archevêché de Paris, vacant depuis la mort de M. de Belloy, avait tout récemment adressées à l’empereur au nom du chapitre métropolitain. Ce fut toutefois l’expression d’une vive surprise, puis

  1. Vie de M. l’abbé Émery, t. II, p. 245.
  2. Ibid., p. 246.