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LITTÉRATURE ANGLAISE

UNE CRISE DE LA POESIE. — M. ROBERT LYTTON.

Chronicles and Characters, by Robert Lytton, London 1868.

Il y a trois sortes de physionomies de poètes : ceux qui se reconnaissent en toute occasion et du premier abord, ceux qui ont en quelque sorte plusieurs figures et semblent être plusieurs poètes en un seul, ceux dont les traits, rappelant tour à tour cent visages différens, ne peuvent se graver dans la mémoire. Les premiers, qui sont les plus grands, ont beau changer de sujets et promener leur fantaisie souveraine de l’ode à la chanson et de l’épopée à la pastorale; dans leurs plus complètes métamorphoses, ils demeurent toujours les mêmes : un vers de Byron ou de Lamartine, de Shelley ou de Victor Hugo, se reconnaît entre mille. Les seconds, puissans encore, mais semblables à ces modèles qui font le désespoir des peintres, ne se laissent pas saisir du premier coup : il faut les avoir aperçus sous leurs différens aspects pour imprimer dans son souvenir les deux ou trois portraits qui les représentent tour à tour. Dans la jolie pièce the Flower, de son dernier recueil, Tennyson réclame avec grâce le mérite d’avoir trouvé une fleur nouvelle de la poésie anglaise; mais il y a plusieurs Tennyson : il y a celui des poésies philosophiques et celui des épopées chevaleresques; ses admirables pastorales anglaises en contiennent un troisième. Les derniers, dont nous entendons parler, richement doués quelquefois, n’ont pas, pour ainsi dire, de figure à eux, ils ont celle de la mode. Ils se portent d’une école à l’autre, suivant la vogue; on les trouve successivement archaïques, réalistes, fantaisistes,