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et qu’il y aurait, au point de vue ecclésiastique, des difficultés réelles à vaincre ou plutôt à tourner. En pareille occurrence, quand il s’agissait de têtes couronnées et qu’on n’avait à faire valoir que la raison d’état, le recours naturel était au pape. L’empereur lui-même l’avait bien senti quand, à propos du mariage contracte par son frère Jérôme, il s’était d’abord adressé à Pie VII. Les traitemens dont il avait usé envers le saint-père et la captivité du souverain pontife à Savone lui fermaient cette voie, si clairement indiquée. Toutes les autres, au dire du cardinal Fesch, étaient incertaines et peut-être dangereuses. Napoléon imputa les observations de son oncle à sa partialité maintenant avérée pour e saint-siège, et, comme il lui arrivait d’ordinaire dans les cas qui requéraient beaucoup de savoir-faire, il chargea son habile archi-chancelier de découvrir en gardant toutes les mesures possibles, les moyens de le tirer d’embarras. C’est à quoi excellait toujours Cambacérès, qui, bien qu’il eût conseillé un autre mariage, prit volontiers en main la direction de cette procédure. A vrai dire, il avait été de tout temps admis dans les pays catholiques que les causes matrimoniales entre souverains appartenaient exclusivement aux papes qui tantôt avaient prononcé par eux-mêmes à Rome même, et tantôt avaient constitué leurs légats juges immédiats et présidens des conciles chargés d’instruire hors de Rome ces importantes affaires. Ce droit du saint-siège avait été non-seulement reconnu par l’église de France, mais en fait pratiqué dans les derniers siècles par plusieurs des chefs de la monarchie capétienne. Louis XII avait fait dissoudre son mariage avec Jeanne de France par Alexandre VI (Borgia). Henri IV s’était adressé à Clément VIII Aldobrandini) pour se séparer canoniquement de Marguerite de Valois. Il est vrai que, pour affaiblir l’autorité de ces exemples, M. Bigot de Préameneu avait pris soin d’établir dans un long mémoire que ces deux princes n’avaient eu recours au saint-siège que par ce motif qu’ils le savaient à l’avance favorablement disposé, Clément VIII ayant conçu l’espérance qu’Henri IV épouserait l’une de ses parentes, et Alexandre VI ayant obtenu de Louis XII de considérables avantages pour son fils César Borgia; mais le ministre de Napoléon faisait à tout le moins une chose singulière lorsque, sautant par-dessus ces antécédens relativement de fraîche date, il essayait de prouver par force citations historiques que Louis VII, Louis VI et Charlemagne (celui-là du moins était un exemple à citer à propos de l’empereur) s’étaient parfaitement passés de l’autorisation du saint-siège[1].

  1. Lettre de M. Bigot de Préameneu à l’empereur.