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varin, » et dans une dépêche à M. de Beust l’ambassadeur d’Autriche à Constantinople, M. de Prokesch, révélait l’impression du cabinet turc. « Comme je parlais de cet objet, il y a quelques jours, à Faad-Pacha, il me dit pour résumer sa pensée : — Si les puissances veulent discuter sur les moyens d’anéantir la Turquie, c’est leur affaire, nous ne pouvons l’empêcher ; mais on ne peut nous demander d’assister à leurs délibérations. Si l’on demande notre assentiment pour des mesures destructives, nous dirons non, et nous nous laisserons plutôt démembrer par la force que de nous démembrer nous-mêmes. On n’a vu dans mon allusion à un second Navarin qu’une belle phrase ; c’était l’expression, non de l’aveuglement, mais de la résignation la plus sérieuse… « Je ne nie pas ce qu’il y avait de fierté dans cette résignation ; mais pour parler ainsi la Turquie n’avait pas seulement le sentiment de sa dignité et de sa force : elle savait que la proposition qu’on lui faisait ne pouvait être appuyée d’aucune coercition matérielle, et de plus elle se sentait appuyée dans sa résistance par l’Angleterre, qui avait refusé de se joindre aux autres puissances, qui prétendait, selon le mot de lord Stanley, qu’après tout « la Turquie avait en Crète le même droit que l’Angleterre dans l’Inde, la France en Algérie ou la Russie en Pologne. » Cette situation complexe permettait tout au moins à la Porte de gagner du temps, de traîner les choses en longueur.

Dès que la Turquie résistait et que l’Angleterre se tenait en dehors de l’affaire, à quoi pouvait-on aboutir ? De la proposition tendant à la cession de la Crète par voie de plébiscite, on se rejetait sur la demande d’une suspension d’hostilités, sur la nécessité d’une enquête européenne, et le cabinet turc éludait encore. Pendant ce temps, l’Autriche sentait renaître tous ses scrupules ; la France elle-même commençait à mettre moins de vivacité dans son action diplomatique, tandis que, d’un autre côté, elle atténuait les ordres donnés à sa station navale de l’Archipel. La Russie au reste s’apercevait parfaitement de ce mouvement de retraite de la politique française, et, tout en convenant dans une dépêche à M. de Budberg qu’on avait exclu d’avance l’idée d’une « coercition matérielle, » le prince Gortchakof n’insistait pas moins sur la nécessité de la « coercition morale, » sur l’importance qu’il y avait à ce que « rien ne vînt ébranler la croyance de la Porte dans le ferme et complet accord des deux cabinets. » — « Or, ajoutait-il, je n’ai pas dissimulé à M. de Talleyrand que certains faits survenus récemment allient pu produire sur les Turcs cette fâcheuse impression. Ainsi, sans attacher trop de valeur aux ordres donnés dernièrement à l’amiral Simon, on ne pouvait pas méconnaître que ce fait, rattaché par l’opinion publique à l’entrevue de Saltzbourg, avait été inter-