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ment de son choix, surveillant la marche des choses avec une apparence de philosophie à demi railleuse, dissimulant une impuissance momentanée sous les dehors du « recueillement. » Lorsque au commencement de 1866 la révolution des principautés danubiennes, en appelant le prince Charles de Hohenzollern au trône roumain, réalisait une combinaison qui n’était certes pas prévue par le traité de 1856 et provoquait la réunion d’une conférence européenne à Paris, la Russie, persistant encore dans son détachement philosophique, ne se refusait pas le malin plaisir de tenir aux puissances un langage qui revenait à peu près à ceci : « Votre traité, je le respecte, et même je suis la seule à le respecter, puisque tout le monde le viole, la Turquie, qui ne l’exécute pas, aussi bien que les principautés, qui appellent un prince étranger lorsqu’elles n’en ont pas le droit. Êtes-vous décidés vous-mêmes à le respecter et à le faire respecter ? Alors, soit, délibérons ; sinon je ne l’aime pas assez pour venir réparer les brèches qu’il reçoit ; si c’est pour cela que nous devons nous réunir périodiquement, ce n’est vraiment pas la peine. Il n’y a aucune dignité pour l’Europe à se constituer gravement en conférence pour sanctionner des faits accomplis malgré elle. » Et effectivement la Russie se retirait en se bornant à dire simplement et plus formellement pour la sauvegarde de sa situation : « Si en adhérant à la dissolution de la conférence, M. Drouyn de Lhuys renouvelait sa déclaration quant au traité de 1856, vous pouvez faire observer que le cabinet impérial a toujours pratiqué pour sa part le respect des transactions existantes, mais sous la réserve que ce respect sera réciproque et qu’on ne saurait maintenir aucun article isolé d’un traité quelconque, si les autres articles du même traité se trouvent enfreints par l’une des parties que ces stipulations concernent. (Dépêche à M. de Budberg.) » C’était pour le moment tout ce que voulait le cabinet de Pétersbourg. La Russie ne prenait un rôle plus actif, plus tranché, qu’un peu plus tard, à l’occasion des affaires de Crète, qui commençaient à émouvoir l’Europe. L’insurrection de Candie ramenait naturellement aux réformes nécessaires pour garantir la Turquie contre des explosions semblables, et c’était toute la question d’Orient qui se relevait d’un seul coup.

La pacification de la Crète et les réformes intérieures en Turquie, c’était le programme d’une campagne diplomatique ; mais ici s’élève un doute. D’où venait l’initiative dans cette campagne nouvelle ? Était-ce la Russie qui saisissait l’occasion de tenter la France au lendemain des événemens d’Allemagne ? Une dépêche russe semblerait indiquer au contraire que l’initiative venait de la France. Le prince Gortchakof écrivait du moins à M. de Budberg : « Sa majesté