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en fait un état indépendant sous ma protection ; cela peut continuer ainsi. La Serbie peut prendre la même forme de gouvernement. Il en est de même de la Bulgarie… Quant à l’Egypte, je comprends tout à fait l’importance que ce pays a pour l’Angleterre. Je puis alors dire seulement que si, dans l’éventualité d’un partage de la succession ottomane, vous preniez possession de l’Egypte, je n’aurais pas d’objections à faire. Je dirais la même chose de Candie ; cette île peut vous convenir, et je ne sais pas pourquoi elle ne deviendrait pas une possession anglaise. » C’est la contre-partie de la conversation de Potemkin, c’est la Russie de l’empereur Nicolas offrant Candie et l’Egypte à l’Angleterre au lieu de les offrir à la France, de même que la Russie de l’empereur Alexandre II les offrirait peut-être aujourd’hui à la Prusse, — toujours aux mêmes conditions, pourvu qu’on lui laisse le reste.

Ce que je veux dire, c’est qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil, pas même la chute imminente de l’empire ottoman. Il n’est pas moins vrai qu’il n’y a point de problèmes éternels en politique, qu’ils finissent par arriver un jour ou l’autre à leur maturité, et qu’après avoir sommeillé pendant quelque temps à la suite de la guerre de Crimée, cette inévitable question d’Orient s’est réveillée, depuis ces deux ans particulièrement, sous des traits et dans des circonstances d’une exceptionnelle gravité. Elle s’est manifestée dans un assez court intervalle par la révolution des principautés qui au commencement de 1866 a porté au trône de la Roumanie un prince de Hohenzollern contrairement au traité de 1856, par les complications à la suite desquelles les Turcs se sont résignés à quitter définitivement les forteresses de la Serbie, laissant cette principauté à peu près indépendante, par les agitations qui ont éclaté successivement du côté du Monténégro, en Bosnie, dans la Bulgarie, surtout enfin par l’insurrection de Crète. Ce sont tous ces faits qui constituent ce qu’on peut appeler la question d’Orient dans sa phase actuelle, et ils naissent évidemment d’un certain nombre de causes agissant partout à la fois, se traduisant par des résultats identiques.

Une première cause éclatante, énergiquement active, quoique d’un ordre général, c’est la situation même de l’Europe. Les événemens qui se sont déroulés en quelques années et qui ont jusqu’à un certain point renouvelé l’Occident ont retenti en Orient comme une excitation. L’Italie émancipée et fondant son unité sur les ruines des dynasties et des traités, la Prusse s’armant dans un mouvement d’ambition pour une Allemagne nouvelle, le droit des nationalités proclamé au bruit du canon, la volonté des populations admise comme raison légitime des révolutions et même comme un élément