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publique. Il n’a pas créé l’agitation slave en Russie; mais il l’a aidée, et il est devenu un instrument de propagande d’autant plus actif, d’autant plus efficace, qu’il trouvait pour complice la société russe elle-même, graduellement entraînée, qu’il n’était que l’écho d’une opinion affolée de slavisme.

Bien des causes plus générales da reste sont venues seconder, accélérer le mouvement. Le développement de la presse lui a donné une de ces expressions retentissantes qui doublent l’action du prosélytisme; la victoire sur la Pologne lui a communiqué une intensité fébrile; le spectacle provoquant et encourageant des événemens contemporains de l’Europe, le rôle du principe des nationalités dans tous ces événemens, la dissolution soudaine et inattendue de toutes les combinaisons anciennes de la politique, l’ont fait sortir du domaine des conceptions purement théoriques en rendant tout possible, en ouvrant un horizon indéfini devant toutes les entreprises, et c’est ainsi que la Russie en venait à donner l’an dernier cette représentation étrange et ambitieuse de l’exposition ethnologique. C’est ainsi qu’il y a quelques mois à peine l’université de Moscou, célébrant l’anniversaire de sa fondation, saisissait ce prétexte pour se livrer à une grande démonstration panslaviste, expédiant pendant le banquet des télégrammes à tous les pays slaves, et recevant de ces pays par la même voie des témoignages de sympathique adhésion avec des « cris de douleur, » offrant à M. Pogodine l’occasion de s’écrier dans un toast : « C’est aujourd’hui la première fois que notre université a le bonheur de recevoir les saluts de nos frères slaves qui languissent dans la servitude à Prague, à Brunn, à Agram, à Belgrade. Cet entretien cordial entre des frères si éloignés a pour nous une grande importance et doit remplir nos cœurs d’une immense joie! »

C’est depuis ces deux années surtout que le mouvement s’accentue et prend un caractère plus politique. C’est particulièrement vers 1866 qu’éclate d’une façon plus saisissante cette situation où la Russie apparaît, étouffant d’une main la Pologne, cette sœur évidemment dégénérée et ingrate, coupable d’infidélité pour avoir pactisé avec l’Occident, et tendant l’autre main aux vrais et fidèles Slaves disposés à reconnaître les bienfaits de l’hégémonie moscovite, ne craignant plus de prendre ostensiblement vis-à-vis de l’Autriche cette attitude révolutionnaire d’une puissance en état permanent de provocation morale. Rien n’est assurément plus étrange que cette propagande russe qui s’insinue de toute façon dans l’empire autrichien, qui profite de tous les embarras de cette malheureuse monarchie des Habsbourg et se fait des complices de tous les griefs, de tous les mécontentemens, qui est à l’œuvre depuis quel-