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était rouge, il desserrait son col, tordait sa moustache et lançait un peu partout des regards furieux.

« Mon cher Astier, dit-il, vous serez père un jour,… bientôt, j’espère. Que le ciel vous préserve de connaître la honte qui m’étrangle dans ce moment-ci ! Vous rappelez-vous qu’il y a six mois je vous ai demandé si l’on ne vous avait pas jeté un sort ? Mon ami, voici la sorcière !

— Colonel, je vous en prie, ménagez mademoiselle ; elle n’était qu’une enfant lorsqu’elle a fait les… niches que vous lui reprochez.

— Comment ! vous savez donc….

— L’histoire de M. Moinot ? Depuis longtemps.

— Et vous n’avez rien dit ? et vous vous êtes laissé faire ? et vous avez failli mourir sur le terrain ?… S’il était mort, vois-tu, je t’aurais tuée ! »

Blanche haussa les épaules et son visage sembla dire. :

« Il est convenu que cela m’aurait été bien égal.

— Mais si vous savez tout, reprit le colonel, pourquoi n’avez-vous pas épousé Mlle Humblot ? »

À ce nom, la stupéfaction de Paul montra clairement qu’il ne savait pas tout. Le colonel lui conta l’affaire ab ovo, comme il venait de l’apprendre. Il fit sonner bien haut la beauté, la fortune et les nombreux mérites d’Antoinette ; mais le lieutenant avait l’air d’un homme moins ébloui qu’intrigué. Il cherchait sur le visage de Blanche un commentaire explicatif du récit paternel. Blanche, se sentant observée, tremblait sous ce regard sérieux, scrutateur et doux. Les yeux cléments de Paul Astier la troublaient plus que les éclats de son père. Jamais le lieutenant n’avait laissé paraître tant de bonté devant elle, et jamais, non jamais, dans cette longue guerre, elle n’avait eu si grand’peur de lui.

Le colonel acheva son discours en disant :

« Mon ami, je vais vous faire délivrer une feuille de route pour Marans. Comme il ne convient pas que vous laissiez des dettes à Nancy, j’espère que vous me ferez l’honneur de puiser dans ma bourse. Cette lettre de votre future (prenez, prenez) vous prouve que, sans être attendu ni même espéré, vous serez le bienvenu là-bas. Je m’invite au mariage. D’ici là je me fais fort de vous réconcilier avec le ministère et de vous ménager une rentrée triomphale dans mon régiment. La distinction qui vous était due et que mademoiselle vous a confisquée par un trait diabolique, ne vous manquera pas longtemps, je le jure. Je ne promets pas de vous la porter en présent de noces, mais je dirai à Humblot quel homme vous êtes, ce que vous valez, de quel train je vous ai vu courir au feu, et, ce qui