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de sa beauté que de sa fécondité, et regardant comme sa plus radieuse couronne les neuf enfans qu’elle avait eus coup sur coup de Germanicus, mort à trente-quatre ans.

Il n’est pas inutile de reformer la liste de cette jeune famille, incomplète avant les découvertes de l’archéologie. L’histoire ne citait que trois fils et trois filles : ce sont les inscriptions qui nous font connaître trois autres fils morts en bas âge. L’an 1777, on a trouvé à Rome dans le Corso, auprès de la via dei Pontefici et du mausolée d’Auguste, des plaques de marbre qui rappelaient les funérailles de ces rejetons de la race impériale : « Tibérius César, fils de Germanicus, disait l’une, a été brûlé ici. » — « Caïus César, fils de Germanicus, disait une autre, a été brûlé ici. » Tous les deux étaient morts au berceau (infantes). Un monument semblable attestait les honneurs rendus au troisième fils; malheureusement son nom était effacé. Il est probable que c’était l’enfant dont les grâces précoces et le babil charmaient Auguste ainsi que la sévère Livie, et dont la mort fut l’objet de si vifs regrets. Livie le fit représenter en Cupidon et dédia sa statue dans un temple de Vénus; Auguste conservait son buste dans sa chambre à coucher, et n’y entrait jamais sans le baiser. Qui sait si l’un des deux bustes que l’on admire dans le corridor du Vatican à côté du buste d’Octave jeune, et que l’on intitule Caïus et Lucius, fils d’Agrippa, ne représente pas plutôt l’enfant préféré de Germanicus? Les trois autres fils sont bien connus : l’aîné de ces survivans s’appelait Néron, le second Drusus, le troisième Caïus, du nom d’un de ses frères qui était mort; c’est celui que les soldats surnommèrent plus tard Caligula. Les trois filles, Agrippine, mère de l’empereur Néron, Drusilla et Julia Livilla, étaient nées dans trois années consécutives. Telle était cette belle famille, destinée presque tout entière à un trépas précoce, mais dont alors Agrippine faisait sa parure.


I.

Agrippine ne se produit sur la scène de l’histoire qu’au moment de la mort d’Auguste Elle est dans le camp, sur les bords du Rhin, habitant avec son mari et parmi les soldats, lorsque éclate cette série de révoltes que Tacite a racontées d’une manière si tragique. Germanicus dut même la renvoyer enceinte, avec les femmes de sa suite et le petit Caligula, dans le pays de Trêves pour les sauver des excès de ces furieux. Leur départ fit rentrer les légionnaires dans l’obéissance, tant il leur inspira de honte et de regrets. Quelques années plus tard, Agrippine apparaît encore au milieu des légions. Pendant que son mari est enfoncé dans les forêts de la