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redevienne ce qu’elle a cessé d’être depuis longtemps, la servante de la théologie.

Il résulte encore de tout ce qui précède que les spiritualistes libéraux ne sont pas tout à fait placés au même point de vue que leurs amis par rapport aux doctrines nouvelles. Pour les spiritualistes orthodoxes, toutes ces doctrines, quelles qu’elles soient, ne sont autre chose que de mauvaises doctrines, des doctrines basses, odieuses, désespérantes. Dans cette proscription générale, on enveloppe et on condamne sans distinction tout ce qui n’est pas le spiritualisme pur et doctrinal dont on a fait un credo. Le panthéisme allemand, le scepticisme anglais, le positivisme, le matérialisme, tout est confondu dans une réprobation sans réserve. La philosophie n’a autre chose à faire qu’à combattre ces mauvaises doctrines, à les refouler, et c’est surtout pour cette entreprise, si nécessaire à l’ordre social, qu’il faut s’unir à la religion, plus puissante encore et plus efficace que la philosophie dans cette lutte solennelle du bien contre le mal. Les spiritualistes libéraux, je le répète, ne considèrent pas tout à fait les choses de la même manière. Ils sont tout aussi ennemis que qui que ce soit des doctrines basses et avilissantes; ils sont surtout révoltés de l’espèce de fanatisme en sens inverse qui éclate aujourd’hui dans les jeunes écoles matérialistes. L’intolérance athée est la plus absurde de toutes, et il est évident que nous y marchons. Nous sommes donc aussi peu disposés que personne à transiger avec ces folies, et nous ne pensons pas que la philosophie se soit affranchie de la Sorbonne pour se soumettre au joug de telle ou telle école. Nous protestons contre l’orthodoxie aveugle de la négation, autant et plus que contre l’aveugle orthodoxie de la croyance. L’esprit de secte nous est intolérable partout.

Cependant, tout en faisant la part d’ignorance et d’aveuglement fanatique qui se rencontre dans les bas-fonds des écoles nouvelles, il faut reconnaître que tout grand mouvement philosophique a sa raison d’être et sa légitimité. C’est un principe qui a été suffisamment démontré par l’histoire de la philosophie, et nous ne voyons pas pourquoi on ne l’appliquerait pas au temps présent comme on l’applique généralement au passé. Ce grand mouvement critique auquel nous assistons ne prouve certainement pas que le spiritualisme ait tort; mais il prouve, à n’en pas douter, que nos moyens de démonstration sont insuffisans, qu’il y a des lacunes dans nos doctrines, qu’elles ne sont pas complètement appropriées aux lumières de notre temps, qu’elles laissent en dehors d’elles un trop grand nombre de faits inexpliqués, qu’elles se sont montrées trop indifférentes à l’égard des sciences physiques et naturelles, qu’elles ont