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science? C’est ce que l’intuition ne nous apprend pas, c’est ce qu’aucun témoignage humain ne peut nous révéler, c’est ce que nulle seconde vue ne peut pénétrer. La vie future est l’objet de la foi et de l’espérance, non d’une vision directe : de grandes raisons morales, de solides inductions rationnelles, viennent à l’appui des pressentimens naturels de l’âme; mais l’expérience intérieure est muette sur cet anxieux problème, et, si l’induction et l’analogie nous autorisent à affirmer la permanence de notre être, nulle induction, nulle analogie, ne nous permettent de nous représenter sous une forme quelconque cet état futur de notre être dans des conditions d’existence absolument différentes de celles que nous connaissons. De là cette terreur de la mort dont la foi la plus vive ne parvient pas toujours à triompher, car la vie dans des conditions absolument inconnues nous est encore comme une espèce de mort, et le néant lui-même semble moins effrayant pour l’imagination que cette transformation radicale où le moi actuel continuerait à subsister dans un autre moi.

Ce n’est pas tout; non-seulement l’esprit n’a conscience de lui-même que dans une portion limitée du temps, resserrée entre un avant et un après infinis, mais cette durée même de la conscience n’est pas continue. Elle a ou paraît avoir des intermittences, tout au moins des relâchemens et des rémissions, tantôt d’une manière périodique et normale, comme dans le passage de la veille au sommeil, tantôt d’une manière accidentelle, comme dans l’évanouissement, l’extase, l’imbécillité. Ces différens états, susceptibles d’une infinité de degrés, sont comme des passages de la conscience à l’inconscience, sans qu’on puisse affirmer qu’il y ait jamais un état d’inconscience absolue. L’esprit semble ainsi retourner par degrés vers cet état de végétation obscure d’où il est sorti, et par où il se rattache aux êtres inférieurs. Que devient l’âme dans ces états d’évanouissement, dans cette aliénation de conscience, dans cette perte et cet oubli de soi-même, en supposant qu’il y ait oubli complet? Où est-elle? où rentre-t-elle? Dans quel réservoir vont se cacher ces pensées latentes, ces sentimens endormis, cette volonté suspendue, ce moi enfin qui vivait avant, qui revit après, et dont les tronçons, coupés et séparés, se rejoignent et se retrouvent au moment du réveil, comme si un lien inaperçu n’eût cessé de les rattacher l’un à l’autre dans ce vide apparent?

Ce n’est pas tout. Le sujet pensant, avons-nous dit, est plus qu’un phénomène, plus qu’une collection de phénomènes, c’est un être. Quelle sorte d’être? Un être qui fuit et s’écoule sans cesse, un être toujours en mouvement, un être qui ne peut jamais s’arrêter ni se contenir, et à ce point de vue on peut dire que cet