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paiera les caresses par une étreinte finale dont on pourra fort bien ne pas sortir vivant. »

Ce refrain : prenez garde à vous! je l’entendais de tous côtés. Il m’était redit par les juifs madrés dont le terrible Dash avait esquivé les filets, par les malheureux créanciers qu’il avait faits au même, un peu moins haut par les beautés dont il s’était amusé à peupler ses souvenirs, par certains maris qui, l’ayant convié à chasser le faisan, l’avaient surpris braconnant un autre gibier, par certaines grandes coquettes dont il déchirait à plaisir le masque, pour lui transparent, bref par tous ceux qui de manière ou d’autre avaient quelque grief contre ce représentant de l’enfer sur terre, cet affreux, ce démoniaque Deadly Dash... si bien que le vice lui-même commençait à prendre des airs vertueux quand on venait à parler de notre cher camarade, — ce qui arrive toujours quand le vice vous croit en voie de perdition définitive. Les officiers de son propre régiment, les membres de son propre club, finirent par éprouver quelque scrupule à lui donner le bras dans Pall-Mall, effrayés de sa constante bonne fortune à toute espèce de jeux.

Ce long défi à tous les hasards ne pouvait aboutir qu’à une crise, et la crise enfin arriva. Le tueur tua un homme de trop, — un prince russe, ma foi, — dans le bois de Vincennes, à propos d’une chanteuse de café-concert. Tous les mondes et demi-mondes prirent à cœur cette catastrophe. Le fait en lui-même n’avait rien d’énorme; mais comment tolérer l’audace d’un simple officier de cavalerie qui se permet, sans respect pour l’altesse sérénissime, d’occire ainsi un rejeton de race impériale? On aurait à toute force compris qu’un duc se donnât pareille licence : cette tache rouge se serait perdue parmi les feuilles de fraisier de sa couronne héraldique; mais un Deadly Dash, un simple dragon, — et non pas des mieux famés, — un homme dont la signature se lisait sur bon nombre de menus papiers en circulation chez les banquiers de quatrième catégorie!... Non. La société en pareil cas se montre à bon droit inflexible. — Je ne pardonne pas, dit-elle de sa voix la plus dure,... à moins, ajoute-t-elle en sourdine, à moins que vous n’ayez quelque petite prime à m’offrir. La prime manquait apparemment. Notre duelliste reçut de haut lieu des injonctions secrètes auxquelles il n’eût pas été prudent de désobéir, et mit en vente son brevet de capitaine. Pour la première fois de sa vie, après tant de risques victorieusement affrontés, le plus solide steeple-chaser de l’armée fut désarçonné, renversé, couché par terre, sans remède, à tout jamais.

Loin de moi l’idée de protester contre l’arrêt que le Destin rendit ce jour-là. Notre homme en avait mérité bien d’autres, et la cata-