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de toute une famille d’herboristes terrifiée et glapissante, bel exploit qui vous met sous le coup d’un procès ridicule. Ou bien encore, alors que votre favori, le bai-brun à queue blanche, prenait la tête et franchissait le but, vous avez, dans un imprudent élan d’enthousiasme, promis à Euphrosine Brown de la conduire aux eaux de Baden, ce qui ne laisse pas de vous créer des perspectives compromettantes. De là toute une série de réflexions plus sensées les unes que les autres. Qui vous poussait dans ce demi-monde d’actrices et de bohémiennes? Pourquoi tant de notes acquittées à tort et à travers, gants et parfums, cachemires et point d’Angleterre, bracelets par-ci, bagues par-là, «salaires d’iniquité, » dit votre oncle, rançon d’imbécile, dit votre conscience? Bref, pour une cause ou l’autre, à l’exception des gagnans principaux, presque tous les curieux attirés aux courses d’Epsom en reviennent atteints de l’epsomitis. Elle dure ordinairement de vingt-quatre à quarante-huit heures, quand on sait la traiter par un certain régime ci-dessus indiqué.

Ces préliminaires me conduisent naturellement à vous dire qu’un de mes amis, atteint du mal en question, — tristesse somnolente, langueur appesantie, — vint un lendemain de courses chercher auprès de moi remèdes et consolations. Il savait de reste que je ne le harcèlerais pas de vaines remontrances, et que les je vous l’avais prédit ne sont point à mon usage. Les femmes seules (les femmes légitimes, s’entend) se permettent cette phrase aussi banale qu’agaçante. Quant à moi, je m’abstins même de rappeler à mon camarade que je l’avais soigneusement et persévéramment prémuni contre son excessive confiance dans les mérites de Russley. Je bornai mes conseils à lui prescrire de boire frais et de se rappeler les malheurs d’autrui, excellente recette pour nous faire accepter les nôtres. Aussi, remontant vers le passé, nous évoquâmes toute sorte de vieux souvenirs aux clartés mourantes du crépuscule. L’entretien ne fut pas des plus gais. On ne sait pas ce que recèle de tristesses à échéance du lendemain un excès de vin de Champagne frappé commis la veille. L’homme d’ailleurs est porté à regarder comme un désert aride le monde où il est atteint et convaincu d’avoir joué le rôle d’un sot.

Entre autres noms qui défilèrent tour à tour dans l’espèce de chapelet que nous égrenions ainsi se présenta tout à coup le sobriquet de Deadly Dash. Ce sobriquet, resté maintenant dans un petit nombre de mémoires, était, il y a une douzaine d’années, bien connu dans l’armée anglaise : il abritait un nom par lui-même honorable, je veux qu’il l’abrite encore. On ne sera pas longtemps à comprendre pourquoi. J’ignorais encore ce qu’était finalement