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subsistance mauvais, peu réparateur, parfois dangereux. Certains esprits forts ont pu faire par curiosité un essai qu’ils n’ont pas renouvelé; la masse ne s’est point laissé entraîner par toutes les belles promesses qu’on lui faisait au nom de l’hippophagie, et franchement on ne peut l’en blâmer. Une ordonnance de police du 6 juin 1866 a réglé les conditions d’existence des boucheries de cheval, qui ont commencé à fonctionner le 9 juillet de la même année; aujourd’hui il en existe 22, qui toutes font d’assez pauvres affaires; il y a trois abattoirs spéciaux à Bicêtre, Gentilly et Pantin. Le nombre des animaux mis à mort jusqu’au mois de mars dernier a été de 3,728 chevaux, 86 ânes et 23 mulets; la moyenne de l’âge est de 14 ans, et le total du poids de la viande qu’on en a retirée est de 76,857 kilogrammes. Ces établissemens sont surveillés aussi par les inspecteurs de la boucherie, qui saisissent tout animal insalubre; dans un seul abattoir, 24 chevaux ont été détruits et livrés aux fabricans d’engrais parce que sur ce nombre 5 étaient atteints de fracture avec fièvre, 10 de morve et de farcin, 7 d’affections chroniques de poitrine, 2 d’ulcères et de maladies cutanées.

La viande des chevaux livrés aux bouchers se décompose vite, car elle est presque toujours frappée d’anémie par suite des longues fatigues que l’animal a supportées et qui ont radicalement affaibli son organisme; il faut s’en défaire cependant, et les acheteurs n’en veulent pas. Alors on en confectionne des saucissons auxquels on donne la forme et l’apparence de ceux qui sont fabriqués à Arles, en Lorraine, en Allemagne, et on les écoule en les faisant vendre par des fruitiers, des épiciers, des marchands de salaisons. Au bout de peu de temps, cette charcuterie d’une nouvelle espèce se désagrège, se décompose et n’est plus mangeable. De plus, pendant la nuit et en grand mystère, car il faut éviter l’œil trop bien ouvert de la police, on porte de la viande de cheval chez les traiteurs infimes, qui en font des entre-côtes et des filets; il n’est pas rare chez ces bouchers de découvrir dans quelque coin retiré une pièce de cheval piquée et prête à devenir du bœuf à la mode ; lorsqu’on surprend ces hommes en flagrant délit de colportage prohibé, ils répondent : « Que voulez-vous que nous fassions de notre viande, puisqu’on n’en vend pas à l’étal? » Ce n’est pas par de tels moyens que l’on fera cesser le vieux préjugé qui subsiste malgré tous les efforts faits pour l’ébranler, car bien des malheureux ont refusé des bons de viande de cheval qu’on leur avait gratuitement distribués.


V. — LE VIN. — L’ENTREPÔT.

Le temps n’est plus où les particuliers et les marchands ne pouvaient vendre leurs vins qu’après qu’on avait crié dans les rues de