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blissement immédiat d’une réserve de 260,000 quintaux de blé. En 1828, on redouta la disette, le pain valait à Paris 40 centimes le kilogramme, ce qui était fort cher pour l’époque; le conseil municipal, inquiet et craignant les émotions populaires, vota la mise en vente des céréales contenues dans les greniers publics. 25,000 sacs de blé furent écoulés entre les mois d’octobre 1828 et de juillet 1829. On s’occupait à renouveler la réserve de Paris lorsque la révolution de 1830 vint enlever du même coup la monarchie du droit divin et le système des greniers d’abondance. Sous le gouvernement de Louis-Philippe, nulle prescription importante ne fut ajoutée à celles qui existaient. On continua de s’appuyer sur le système de l’échelle mobile, et à l’intérieur les céréales circulèrent librement.

Le régime actuel paraîtrait à l’abri de tout reproche, si on l’avait débarrassé d’une mesure fiscale qui pèse encore sur les transactions. Le commerce des grains est absolument libre, l’exportation et l’importation ne sont plus soumises à aucun règlement restrictif; seulement les blés importés sont frappés, par hectolitre, d’un droit de 50 centimes, auquel il faut ajouter le décime de guerre imposé par la loi du 6 prairial an VII, décime qui ne devait être que temporaire et qui se perçoit encore aujourd’hui. Les bœufs paient 3 francs et les moutons 25 centimes par tête. A l’intérieur, la circulation, autrefois si redoutée, si difficile, est enfin entrée dans nos mœurs, et l’on est en droit d’espérer que les scènes déplorables qui ensanglantèrent Buzançais en 1847 ne se reproduiront plus. Il faut dire que, s’il était aisé jadis d’arrêter sur une mauvaise route des voitures pesamment chargées et marchant au pas, on ne pourrait guère maintenant faire rebrousser un convoi roulant à toute vitesse sur un chemin de fer. Avec les moyens de communication rapide que la vapeur nous donne sur terre et sur mer, la France est à l’abri des disettes. Ce que nous pouvons craindre, c’est le renchérissement et non plus la famine. Il y a cent ans, l’année que nous traversons eût été comptée parmi les plus mauvaises et les plus redoutables. Grâce à la liberté des transactions, tout se passe sans trouble, sinon sans malaise. La Hongrie, la Russie, l’Amérique, envoient leurs grains sans difficulté, et, si le prix du pain a augmenté, c’est du moins dans des proportions acceptables. Pour que la France fût exposée à traverser encore une de ces crises alimentaires si fréquentes au dernier siècle, il faudrait d’abord que sa récolte fût singulièrement pauvre, ensuite que la disette ravageât le monde entier, ou que nous fussions engagés dans une guerre à la fois continentale et maritime; il faudrait, en un mot, tant de mauvaises conjonctures réunies qu’on peut être certain de les éviter.

Se fiant à l’initiative individuelle conseillée par l’intérêt, aux mul-