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de 1709, qui amena une épouvantable famine. Comme les lois punissaient ceux qui achetaient plus de blé que leur consommation n’en exigeait, il n’y avait de réserve nulle part ; comme une récente ordonnance avait doublé les droits de passage pour les céréales, rien n’était arrivé à Paris, qui se trouvait littéralement sans pain. Le 3 mars, les femmes de la halle prirent le chemin de Versailles, pour montrer au roi leurs enfans mourans et demander à manger : coupées au pont de Sèvres, elles furent ramenées à Paris tambour battant ; mais la tradition de cette échauffourée resta vivante, on s’en aperçut bien aux journées d’octobre 1789. Quand le dauphin allait courir le loup à Marly ou venait à l’Opéra, il était entouré par des bandes affamées dont il ne se débarrassait qu’en leur faisant jeter de l’argent. On ordonna des perquisitions pour trouver les blés cachés ; mais on n’en découvrit pas, la disette était absolue. Les soldats de la garnison même de Versailles sortaient en armes pour mendier et pillaient le pays. Les gens riches faisaient escorter leur pain par la maréchaussée. Le gouvernement, perdu au milieu de ses propres réglementations, ne savait à quoi se résoudre. Les paysans avaient semé de l’orge et de l’avoine, on fit détruire cette récolte, à peine sortie de terre, parce qu’elle poussait sur un sol qui aurait dû être ensemencé de blé. Un ordre si barbare fut heureusement mal exécuté, et les grains que l’on obtint servirent à faire ce pain de disette que la cour elle-même fut forcée de ne pas dédaigner. Les accapareurs ont-ils eu part à ces désastres ? On peut le croire. Les traitans, comme on disait alors, attachaient un grand prix au renchérissement des denrées ; ils étaient maîtres du marché et y faisaient la hausse et la baisse selon leur intérêt. Le prudent Delamarre n’hésite pas à dire que les agioteurs ne s’épargnèrent point pour profiter de ces lamentables circonstances. La princesse palatine va plus loin et frappe plus haut : elle accuse nettement Mme de Maintenon.

Par une anomalie étrange, pendant que les blés et la viande ne pouvaient, à cause des impôts excessifs et des ordonnances prohibitives parvenir jusqu’à Paris, on ne reculait devant aucun sacrifice pour y amener le poisson de mer. Ce n’est pas qu’on l’eût dégrevé : il était, comme les autres denrées, soumis à toute sorte de droits ; mais du moins des édits en assuraient le libre parcours. Un intérêt religieux influait certainement sur ces mesures relativement libérales. Dans l’année catholique, il y a cent soixante-six jours où les fidèles doivent s’abstenir de viande, et l’église dut insister auprès des gouvernemens pour que l’aliment maigre par excellence arrivât dans Paris en quantité suffisante. La première ordonnance qui concerne les chasse-marée, ainsi qu’on a nommé les mareyeurs jusqu’au commencement de ce siècle, est de saint