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présente pour l’écoulement des métaux précieux. Je veux croire à tout le perfectionnement du crédit, à de plus grands moyens d’économiser les métaux précieux, à l’établissement en France des clearing house de l’Angleterre et des États-Unis; néanmoins tous ces moyens-là n’empêcheront pas une plus grande absorption du numéraire par le seul fait du développement des affaires. L’accroissement annuel du chiffre d’affaires chez nous a été en moyenne, depuis dix-sept ans, de 15 pour 100 et celui du stock métallique de 1 1/2 à 2 pour 100 seulement. Que les choses continuent à se développer de la même manière, que le progrès soit même moindre, qu’il ne soit que de 8 à 10 pour 100, tandis que l’addition au stock métallique sera toujours de 1 1/2 à 2 pour 100, et nous sommes à l’abri de toute dépréciation monétaire tout en faisant un plus large appel aux moyens de crédit.

Ainsi donc, tranquillisons-nous; nous ne sommes menacés à bref délai ni d’une dépréciation des métaux précieux, ni d’une abondance trop grande du capital dont nous n’aurions pas l’emploi. Ce qui menace les sociétés modernes, c’est plutôt l’insuffisance du capital par rapport aux besoins. Le domaine de la production est immense, illimité. Chaque année, il s’agrandit, grâce aux applications de la science, et il absorbe plus de capitaux; mais il faut qu’on ait la tranquillité, la foi dans l’avenir, et cette foi, le monde industriel et commercial ne l’aura plus que lorsqu’il sera bien sûr que dans l’ordre politique on ne peut rien tenter qui ne soit conforme aux intérêts et aux vœux du pays, rien qui puisse le surprendre à l’improviste. On voit des gens qui, en présence de cette fatalité qui semble conduire à la guerre, s’écrient : Eh bien ! ayons-la le plus tôt possible, et qu’elle tranche toutes les difficultés pendantes; nous aurons peut-être ensuite une paix assurée. — Ils oublient que la guerre ne décide jamais rien, qu’elle pose plus de questions qu’elle n’en résout. Il suffit, pour s’en convaincre, de se reporter aux souvenirs du passé, aux expériences les plus récentes. Qu’est-ce qui a été réglé par la guerre de Crimée, par celle d’Italie, par celle de l’Allemagne? Les difficultés au contraire sont nées et se sont accrues après chacune d’elles. Il n’y a plus aujourd’hui que la liberté politique qui puisse résoudre les questions.


VICTOR BONNET.