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y réfléchisse, ou ne tarde pas à reconnaître que ce supplément de métaux précieux est loin d’avoir correspondu au développement des affaires. On suppose généralement qu’il y avait en Europe et en Amérique avant la découverte des mines pour environ 30 milliards de métaux précieux, tant en or qu’en argent. Ces 11 milliards nouveaux, que nous porterons à 14 ou 15, si l’on veut, en tenant compte de ce qui a pu être frappé ailleurs que dans les trois états indiqués, du produit des mines d’or de la Russie et du monnayage en argent, qui a été du reste fort peu important, les 15 milliards nouveaux n’ont élevé en somme que d’un tiers environ la circulation métallique antérieure. Pendant ce temps, quel a été le progrès des affaires? Elles ont plus que quadruplé; elles ont passé chez nous, pour le commerce extérieur, de moins de 2 milliards à 7, et pour les opérations de la Banque de 1 milliard 1/2 à 8 en 1866. Il a donc fallu qu’avec un tiers de numéraire en plus on fît face à quatre fois autant de transactions. C’est ce qui explique comment à diverses reprises depuis douze ou quinze ans, et malgré l’abondance des mines, nous avons vu les métaux si rares et si recherchés. En 1863 et 1864 encore, les mines avaient certes déjà bien versé dans le monde 8 ou 9 milliards, et cependant jamais l’encaisse de la Banque d’Angleterre et de la Banque de France n’était descendu aussi bas. On inventait toute sorte d’expédiens pour en atténuer l’insuffisance, et on demandait notamment qu’on fît un plus large appel au crédit en augmentant les billets au porteur. Ce ne sont pas les 2 ou 3 milliards versés depuis dans la circulation qui ont pu changer beaucoup l’état des choses; ce n’est-pas non plus le perfectionnement des moyens de crédit. Ce perfectionnement existe sans aucun doute, mais il existait déjà dans le passé, et il a coïncidé avec une cherté et une pénurie relatives du numéraire. Ce qui a modifié la situation, c’est, il faut le répéter, que le capital, beaucoup demandé alors, ne l’est plus aujourd’hui, par les raisons que nous avons indiquées, et que le papier-monnaie a pris dans la circulation de certains pays plus de place qu’il n’en avait auparavant.

Que faut-il pour que cela change? Il faut que la confiance renaisse, et que les affaires reprennent avec vigueur. Le jour où l’Europe ne s’épuisera plus dans des armemens et des préparatifs de guerre, où elle emploiera son temps et son argent à faire des choses utiles et productives, à payer régulièrement ses dettes sans être obligée d’emprunter à nouveau, ce jour-là le cours forcé ne sera plus aussi nécessaire qu’il l’est aujourd’hui, et il cédera un peu la place à la circulation métallique. Quand on pense qu’il y a pour dix ou douze milliards de ce papier-monnaie dans le monde avec lequel nous sommes en rapport, on voit quelle marge cela