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mitées. Le fabricant ou le marchand étranger pourrait bien à la rigueur échapper à l’influence des variations du papier-monnaie dans ses rapports avec les pays où le cours forcé existe : il n’aurait qu’à stipuler pour ses ventes comme pour ses achats que tout sera réglé en monnaie métallique avec un change fixe; mais cela ne se fait guère dans la pratique, et d’ailleurs cela ne trancherait pas la difficulté. L’acheteur ou le vendeur des pays où existerait le cours forcé, ne pouvant pas se soustraire aux variations du change, s’enquerra toujours, avant d’entamer une opération au dehors ou au dedans, des risques qu’il peut courir pendant la durée de son opération, et, si ces risques sont grands, il s’en abstiendra. C’est ainsi que, par le fait du cours forcé, le commerce extérieur se trouve paralysé comme le commerce intérieur, et cependant il n’y aurait que l’activité industrielle et commerciale qui pourrait fournir aux gouvernemens obérés les ressources nécessaires pour rembourser leur papier-monnaie et le retirer de la circulation. Ils tournent dans un cercle vicieux. A mesure que la situation se prolonge, l’abîme se creuse davantage, les difficultés sont plus grandes pour en sortir. Aussi voit-on ces gouvernemens dans un déficit permanent et sans cesse en quête de nouveaux emprunts pour solder les intérêts des anciens. On se demande ce qu’ils feront le jour où le crédit leur manquera tout à fait, et cela pourrait bien ne pas tarder, car déjà, on met moins d’empressement à leur prêter, et ils empruntent à des taux de plus en plus usuraires. Ce jour-là, il leur faudra faire résolument ce par quoi ils auraient dû commencer, s’ils avaient eu le sentiment des difficultés de l’avenir, c’est-à-dire recourir à l’impôt. Ce moyen sans doute est pénible, il est héroïque, il appelle plus qu’aucun autre l’attention du pays sur ses affaires; mais quel mal y a-t-il, si l’on ne veut faire que des choses utiles? Le procédé des emprunts et du cours forcé, c’est le procédé des mauvais gouvernemens, de ceux qui ont quelque chose à cacher, et dont la politique ne s’inspire pas toujours des véritables intérêts de la nation. Qu’on interroge le pays par excellence de la liberté, celui où toutes les affaires se font au grand jour, où rien ne s’engage sans que la nation n’ait été préalablement consultée sous toutes les formes, l’Angleterre. Dans ce pays, quand une mesure d’intérêt général est décrétée, quand il faut faire la guerre pour sauvegarder l’honneur ou l’influence nationale, on ne craint pas de s’imposer extraordinairement pour les sommes nécessaires. Aussi les finances sont-elles admirablement réglées, on n’y connaît pas le déficit; il y a chaque année des excédans de recette qu’on applique à réduire les impôts ou à diminuer la dette publique. Les états besoigneux croient avoir tout sauvé lorsqu’ils ont réussi à contracter un emprunt au dehors.