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quittée 117 millions de droits, c’est-à-dire environ 43 pour 100. L’expérience apprendra sans doute aux Américains comme aux autres peuples qu’on ne gagne jamais rien à se retrancher aussi absolument dans ses frontières et à s’isoler du reste du monde. Il y a des produits de l’Europe dont les Américains ne peuvent se passer. Que gagnent-ils à les faire payer beaucoup plus cher par leurs tarifs de douane si élevés ? L’argent qu’on met à se les procurer manque pour d’autres besoins, et en définitive c’est la fabrication intérieure qui fait les frais de ce qu’on paie en plus pour acheter les objets venant du dehors. En attendant que cette expérience se fasse, la politique commerciale des États-Unis nous est pour le moment très défavorable ; elle limite considérablement les débouchés que nous trouvons dans ce pays pour nos produits de toute nature, pour nos vins, nos tissus de soie, pour nos articles de modes, et, comme on ne remplace pas aisément un peuple de consommateurs aussi riche, tant que ce marché ne nous sera pas rendu, il faut s’attendre à un certain déficit dans notre commerce extérieur.

Nous arrivons à la troisième cause qui a eu de l’influence sur notre encaisse métallique ; celle-là est d’une nature toute particulière. Il s’agit du cours forcé des billets au porteur. Ce cours forcé existe aux États-Unis, au Brésil et dans d’autres parties de l’Amérique du Sud ; il existe aussi en Europe dans plusieurs pays très importans, en Russie, en Autriche, en Italie, en Turquie. Si nous en croyons un journal anglais fort accrédité sur ces matières, la masse du papier-monnaie qui circule tant au nouveau monde qu’en Europe s’élève à près de 15 milliards. Ce chiffre est sans doute exagéré ; diminuons-le d’un tiers, il reste encore à 10 milliards ; c’est énorme, et la part de l’Europe peut être de 4 milliards 1/2 : 2 milliards 1/2 pour la Russie, 6 ou 700 millions pour l’Autriche, autant pour l’Italie et pour la Turquie. On calcule que les États-Unis doivent en avoir à eux seuls pour près de à milliards. Avant la guerre de sécession, lorsque la circulation dans ce pays était métallique, tout l’or qui provenait des mines de Californie et d’ailleurs s’y répandait d’abord, et la plus grande partie y restait par suite de l’expansion du commerce et de l’industrie ; le trop-plein seulement se déversait sur l’Europe. Aujourd’hui que le papier-monnaie a remplacé les métaux précieux, l’or des mines fait à peine escale à New-York, et de là il nous arrive directement. Si les États-Unis en retenaient autrefois la moitié, soit environ 3 ou 400 millions sur les 6 ou 700 que produisent les mines, ils en gardent aujourd’hui à peine le cinquième. On comprend qu’une telle situation, qui dure déjà depuis plusieurs années, a dû exercer une influence considérable sur les marchés monétaires de l’Europe, d’autant plus que