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tout à fait liquidée. Les sociétés, au lendemain de ces fléaux qui les atteignent de temps à autre, presque périodiquement, sont comme des convalescens qui reviennent à la santé, elles ont besoin de réparer le temps perdu et de ranimer leurs forces épuisées; alors elles se mettent à produire et à consommer d’autant plus qu’il y a eu un temps d’arrêt plus long. Rien de semblable ne s’est produit depuis 1864; il y a même eu ceci de particulier, qu’après les premiers momens de reprise, en 1865 et en 1866, les affaires se sont ralenties tout à coup en 1867, comme si la nation était épuisée de l’effort qu’elle avait dû faire, et qu’elle eût besoin de s’en remettre.

Pour trouver un point de comparaison avec la situation présente, il faudrait remonter jusqu’à la période révolutionnaire de 1848 à 1851, non pas que tous les élémens soient les mêmes : il est évident que la richesse est aujourd’hui beaucoup plus grande qu’elle ne l’était alors, et que la production et la consommation se sont énormément développées. Ce qui a été acquis reste acquis et continue à produire ses effets. Nous avons maintenant plus de chemins de fer que nous n’en avions, les mines d’or nous ont versé des milliards qui augmentent d’autant l’actif national, enfin la science a fait des progrès de toute nature qui ont contribué aussi à élever le niveau de la richesse sociale à un degré qui ne permet aucune comparaison avec la période de 1848 à 1851; mais là où l’analogie existe, c’est dans la stagnation des affaires. De 1848 à 1851, le fait qui a dominé constamment, ç’a été l’abondance du capital disponible par rapport aux besoins. Il y avait à la Banque un encaisse à peu près égal à la circulation fiduciaire, il lui a même été un moment supérieur[1]. Les dépôts affluaient, et on ne savait que faire de son argent. En même temps les affaires chômaient : il y aurait eu mille moyens d’employer le capital, s’il avait voulu s’engager; mais il ne le voulait pas, il était dominé par un seul sentiment, celui de la crainte, et il préférait rester inactif plutôt que de circuler. C’est la même situation aujourd’hui; nous n’osons plus agir, et nous restons là, inertes, avec d’immenses capitaux, avec des élémens de production comme il ne s’en était jamais amassé dans aucun pays, et qui pourraient imprimer à la richesse publique un essor inusité.

En présence de ce fait, qui a déjà plus d’un an de durée, il se produit dans les esprits une impression toute contraire à celle qui

  1. Au mois de janvier 1850, la circulation fiduciaire ne surpassait les encaisses que de la différence de 430 à 450 millions, c’est-à-dire de 20 millions. Au mois de mars 1851, les encaisses étaient à 625 millions et la circulation à 515.