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sur la vallée de Chamonix, celle de toutes les Alpes où afflue le plus grand nombre de visiteurs. À Servoz, on rencontre le terrain houiller, caractérisé par les fougères arborescentes qui lui appartiennent exclusivement ; il forme les montagnes de Coupeau et de Pormenaz, et en face du village des Ouches on exploite une mine de houille sèche ou anthracite. Toutes les roches de la gorge des Montées sont arrondies, polies, striées et couvertes de blocs erratiques jusqu’à la hauteur de 760 mètres au-dessus du pont Pélissier, et près du pont sur l’Arve, en face des Ouches, on peut étudier comparativement les effets si différens de l’eau et de la glace sur les roches. Au pied de la Flégère, au lieu dit les Raffors, on observe les couches calcaires correspondant à celles du revers occidental des Aiguilles-Rouges. À l’extrémité du glacier des Bois se trouve une colline calcaire entourée par la moraine du glacier, c’est la côte du Piget, déjà signalée par de Saussure : elle se compose de couches de cargneule appartenant aux terrains du trias et de calcaire noir jurassique. Les couches plongent sous les schistes cristallins de l’aiguille de Bochard, nouvel exemple de ces renversemens si communs dans les Alpes. Ici c’est le Mont-Blanc qui a percé la voûte des terrains sédimentaires. Le colosse lui-même se compose de feuillets disposés en éventail, c’est-à-dire plongeant vers le sud dans la vallée de Chamonix et vers le nord dans le Val-Veni. Ce n’est donc point une force agissant de bas en haut suivant la verticale qui a soulevé le Mont-Blanc, ce sont au contraire des pressions latérales agissant dans les profondeurs de la croûte terrestre et comprimant les couches comme le lien qui serre les chaumes d’une gerbe. Cette structure en éventail est le grand trait orographique de la chaîne des Hautes-Alpes ; elle a été reconnue et figurée pour le Mont-Blanc par Gimbernat en 1806, étendue depuis à toutes les Alpes suisses par MM. Studer et Escher de la Linth ; elle est évidente au Saint-Gothard, et M. Lory l’a retrouvée dans les Alpes dauphinoises. M. Rogers l’avait observée dans les Alleghanys, aux États-Unis.

Nous avons déjà parlé de la présence du terrain houiller dans la vallée de Chamonix et dans les vallées voisines. Les anciens géologues ne pensaient pas que ce terrain existât dans ces vallées, et M. Élie de Beaumont persiste à soutenir cette opinion. La localité de Petit-Cœur, en Tarentaise, est, pour ainsi dire, le champ de bataille sur lequel les géologues ont lutté, et où MM. Élie de Beaumont et Sismonda restent seuls aujourd’hui à contester la présence de ce terrain dans les Alpes, soutenant, malgré les résultats constatés et affirmés par une foule d’observateurs, qu’il ne peut théoriquement s’y trouver. Or pourquoi les couches houillères n’auraient-elles pas été déposées sur les terrains cristallisés des Alpes comme elles le sont sur ceux de Vienne et de Rive-de-Gier en Dauphiné ? En 1828, M. Élie de Beaumont publia un mémoire sur cette localité. On y voit une argile schisteuse noire contenant des empreintes végétales identiques à celles du terrain houiller. Cette argile est comprise entre deux couches de schiste argilo-calcaire renfermant des bélemnites et appartenant aux terrains jurassiques, M. Adolphe Brongniart reconnut que les empreintes végétales étaient celles de vingt-quatre espèces de plantes, dont vingt--