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de Bex, offre un exemple de renversement encore plus évident. Dans une coupe verticale naturelle, la craie repose sur le terrain nummulitique, le néocomien sur la craie, et le jurassique sur le néocomien. A la Tour Sallière, voisine de la Dent du Midi, les couches reprennent leur position normale et l’inspection des lieux montre que les couches, au sommet de la Dent du Midi, sont réellement recourbées en forme de C. Sur ce C, dont la concavité regarde les Alpes, les couches les plus modernes sont placées à l’extérieur, les couches anciennes à l’intérieur, dans la concavité. C’est la loi géologique formulée par M. Bernhard Studer.

Au-dessus de Servez s’élève une montagne pointue célèbre par ses éboulemens sous le nom de montagne des Fis, et qui a joué un grand rôle dans l’histoire de la géologie. A. de Luc savait déjà en 1815 qu’elle était riche en fossiles, et il avait été frappé de la ressemblance qu’ils offraient avec ceux de la perte du Rhône, de Folkestone et de la côte du comté de Kent, à l’ouest de Douvres[1]; il se borna à cette observation. Plus tard Alexandre Brongniart, muni de ces renseignemens, visita cette localité, et, dans un mémoire publié en 1821[2], il affirma d’après l’identité des fossiles la contemporanéité des couches de gault des Fis, de la perte du Rhône de la Normandie et du sud de l’Angleterre. C’était à cette époque une grande hardiesse; mais l’affirmation du rôle prédominant des restes organiques végétaux ou animaux pour fixer l’âge relatif des terrains les plus distans les uns des autres, qu’ils soient au sommet d’une montagne ou au niveau de la mer, a eu la plus heureuse influence sur la marche de la géologie stratigraphique. L’existence de ces terrains récens a une hauteur qui dépasse 3,000 mètres présente encore un autre genre d’intérêt : les massifs situés en face, tels que la montagne de Pormenaz, le Brévent et les Aiguilles-Rouges, sont formés par les terrains les plus anciens, savoir le terrain houiller et les schistes cristallins; mais il est probable que dans le principe elles étaient recouvertes par les couches modernes qui forment les points culminans du groupe des Fis, dont ils sont séparés par la vallée de Dioza. M. Favre eut la confirmation de cette hypothèse lorsqu’il reconnut au sommet de la plus haute des Aiguilles-Rouges des couches de calcaire jurassique et de schistes triasiques. Ce lambeau, situé à 2,944 mètres au-dessus de la mer, est un témoin des énormes dénudations qui ont enlevé les terrains sédimentaires et mis à nu les schistes cristallins qui leur servaient de support. Les terrains sédimentaires formaient une voûte dont les jambages étaient le Buet à l’ouest et à l’est les calcaires du pied de la Flégère, dans la vallée de Chamonix. L’exhaussement des Aiguilles-Rouges a brisé la voûte, les fragmens se sont éboulés ou ont été emportés au loin par les anciens glaciers et les eaux torrentielles. Les agens atmosphériques ont détruit le reste, et la clé de la voûte est seule restée sur la plus haute des Aiguilles-Rouges comme un témoin irrécusable de cette grande dénudation.

L’ouvrage que nous analysons contient les détails les plus intéressans

  1. Bibliothèque universelle de Genève. Sciences et Arts, 1825, t. XXVIII, p. 116.
  2. Sur les caractères zoologiques des formations. (Annales des Mines, t. VI, p. 537.)