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unes sur les autres, pauvres en restes organiques. Les montagnes sont le désordre, les plaines l’état régulier. Dans celles-ci, les différentes couches se sont déposées lentement, selon l’ordre de la formation, au fond de mers tranquilles, ensevelissant et conservant les parties dures des animaux et des végétaux. Aucun bouleversement, aucune éruption de roches volcaniques n’a dérangé cet ordre chronologique. En marchant dans une direction déterminée, le géologue voit successivement affleurer ces terrains à la surface du sol : ils se superposent régulièrement comme les gradins d’un grand amphithéâtre. Si donc la géologie est née dans les montagnes, on peut dire qu’elle a grandi dans les plaines. C’est dans les bassins réguliers de Vérone, de Paris, de Vienne et de Londres que la science s’est constituée; c’est l’étude de ces couches normales, remplies de débris animaux et de plantes fossiles, qui a permis de fonder la paléontologie stratigraphique, base de la géologie chronologique. La structure du sol dans les parties plates de la surface terrestre apprit à débrouiller le chaos des montagnes. On reconnut que les sommets sourcilleux n’ont point une architecture différente en réalité de celle des plus modestes collines; mais que d’ascensions pénibles, que d’observations incessamment répétées, que de sagacité pour restaurer ces ruines imposantes et reconstruire sur le papier l’édifice, jadis régulier, que les agens physiques et chimiques, l’atmosphère, l’eau et la glace démolissent et dégradent sans relâche depuis un nombre de siècles devant lequel l’imagination même recule épouvantée! Aussi l’apparition d’un ouvrage qui est le fruit de vingt-cinq ans de recherches faites par un observateur vivant sur le théâtre même de ses études sera-t-elle bien accueillie par tous les amis des sciences naturelles; c’était une belle tâche de reprendre l’œuvre de Saussure en s’appuyant sur l’expérience et sur les progrès d’un siècle tout entier. M. Favre l’a fait; mais, loin de dédaigner les tâtonnemens de ses prédécesseurs, il en a recueilli pieusement les moindres traces. Pour chaque groupe de montagnes, pour chaque sommet remarquable, il nous fait assister aux assauts qui leur ont été livrés par les savans. On suit le travail et le développement de la pensée géologique, et l’on voit les progrès généraux de la science se refléter nettement dans la connaissance toujours progressive d’une localité restreinte.

Après un coup d’œil général sur le lac Léman, l’auteur s’occupe des dépôts modernes du lac et des terrasses qui accusent un niveau plus élevé que celui de la surface actuelle. Les dénudations et les atterrissemens des affluens ont, près de Nyon, enfoui des colonnes romaines datant de l’époque de Marc-Aurèle. Les terrasses de la plaine sont plus anciennes, car elles contiennent quelques débris de mammouth et de renne, animaux dont l’existence remonte bien au-delà de la période historique. Au-dessous des terrasses et des alluvions modernes, on trouve dans tout le bassin du Léman le terrain glaciaire, c’est-à-dire un mélange confus de sables, de graviers, de cailloux, supportant des blocs erratiques volumineux. Ces matériaux proviennent tous des Alpes, et ont été déposés par les glaciers dans le bassin qu’ils remplissaient autrefois.