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dépassé tout simplement de 530 millions les calculs de 1858, et sur ce chiffre 398 millions sont à rembourser au Crédit foncier, qui les a fournis en se contentant de cet ingénieux mécanisme des bons de délégation imaginé pour se dispenser d’un emprunt régulier. On s’est dispensé effectivement de se faire autoriser avant l’opération. On ne le peut plus aujourd’hui, et voilà le secret de la loi nouvelle présentée au corps législatif. C’est ce qu’on peut appeler un emprunt après coup, ou, en d’autres termes, une carte à payer présentée sans trop de façon à un pouvoir qui n’a pas été consulté avant la consommation. Que reste-t-il à faire ? Matériellement il n’y a plus sans doute qu’à liquider, à régulariser une situation où toutes les responsabilités deviennent illusoires en présence des sommes colossales qui ont été jetées dans ces travaux ; mais politiquement il se dégage à coup sûr de tous ces faits une lumière saisissante. Ce qu’il y a d’étrange, c’est que depuis dix ans un homme, si haut placé qu’il soit, si capable même qu’on le reconnaisse, ait pu accomplir ainsi tout ce qu’il a voulu, dépenser 410 millions quand on lui en donnait 180, accumuler des irrégularités que la Cour des comptes signale vainement aujourd’hui, bouleverser de son autorité privée toutes les conditions économiques d’une ville, déterminer des crises dans toutes les situations individuelles, dans tous les intérêts ; ce qui n’est pas moins singulier, c’est qu’un grand établissement financier placé sous le contrôle de l’état ait pu prêter 398 millions à une ville sans s’assurer si cette ville était régulièrement autorisée à affronter un tel fardeau. Ce qu’il y a de caractéristique enfin, c’est cette invasion de l’arbitraire dans toute une administration. Cela prouve une fois de plus ce qu’il y a de fatalement dangereux pour le gouvernement comme pour le pays dans cette habitude d’omnipotence personnelle. Les abus engendrent les abus, et le jour vient où on se trouve en face d’un vide gigantesque à combler, exactement comme on s’est trouvé, au point de vue extérieur, en face des résultats désastreux de l’expédition du Mexique. C’est la moralité des événemens.

Certes chaque pays a ses embarras et ses peines, et plus que jamais aujourd’hui la vie devient laborieuse en Europe, dans cette Europe travaillée, où les peuples sont réduits à se débattre entre les soucis de leurs crises intérieures et des menaces de guerre qui ne se sont dissipées en ce moment que pour renaître demain peut-être. Qu’on observe cependant, qu’on prenne en quelque sorte sur le fait la différence des régimes : en France, un contrôle insuffisant laisse passer l’expédition du Mexique, et nous conduit à une déception assurément préférable encore à une guerre avec les États-Unis ; en Angleterre, sous l’œil toujours ouvert du parlement, au milieu des libres débats de la presse, le gouvernement vient de conduire à la plus heureuse fin une expédition qui courait, elle aussi, le risque d’aller donner dans l’inconnu. Ce n’était point sans inquiétude que beaucoup d’Anglais voyaient commencer cette ex-