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N’y eût-il que cela, cette séance académique aurait certainement une valeur politique. Elle a eu peut-être encore un intérêt plus actuel, un lien plus intime et plus direct avec des questions qui s’agitent bruyamment aujourd’hui, puisque le matérialisme se trouve mis en cause, puisque M. Jules Favre s’est cru obligé de faire avec une certaine solennité une profession de foi toute spiritualiste. Serait-il vrai que cette profession de foi n’ait été qu’une réponse à quelque défi, à quelque vaine sommation des démocrates matérialistes et révolutionnaires ? Pour des philosophes qui ont plus d’un combat à livrer avant d’avoir la victoire, qui n’ont rien à attendre que de la liberté, voilà de bien singuliers zélateurs de l’indépendance de la pensée. Ce qui est étrange en vérité, c’est l’invasion et le retentissement de telles questions dans la politique, et sous ce rapport on pourrait dire que la maussade importance prise récemment par ces doctrines est peut-être en partie l’œuvre de ceux qui, au nom de la religion, se jettent avec plus de passion que de clairvoyance dans ces polémiques.

Ce n’est point que les chefs de l’église n’aient le droit de surveiller le degré de santé morale de la société, les influences qui la pénètrent, les idées qui l’envahissent. Encore serait-il juste et prévoyant de ne pas excéder ce droit, de ne point s’exposer, dans un sentiment d’inquiétude effarée, à aiguiser des armes dont on peut soi-même recevoir les atteintes, à grossir l’importance des choses qu’on veut combattre. M. l’évêque d’Orléans est assurément un des prélats qui portent dans ces luttes le plus d’ardeur, le plus de zèle, le plus de verve agitatrice. De jour en jour, il devient l’éclaireur, le moniteur, le primat de l’église française, il donne le mot d’ordre ; il a l’œil sur tout, sur la politique, sur la diplomatie, sur l’enseignement, sur les propagandes les plus obscures. Si la société doit périr, ce ne sera pas faute d’être informée des catastrophes prochaines qui la menacent. M. Dupanloup l’a déjà bien des fois avertie ; il l’avertit encore sous la forme d’une lettre qui a pour titre les Alarmes de l’épiscopat justifiées par les faits. Les brochures s’accumulent, et, à mesure qu’elles se succèdent, les réquisitoires deviennent plus âpres, plus impérieux ; ils prennent le caractère d’une démonstration collective, puisque M. Dupanloup a le soin de compléter sa lettre par les adhésions d’un grand nombre de ses collègues de l’épiscopat qui ont vraiment un peu l’air d’être menés par lui au combat. Il ne s’agit plus cette fois de quelques écrivains creusant les problèmes philosophiques, il s’agit un peu de tout et de tout le monde, des cours publics, de la franc-maçonnerie, de la ligue de l’enseignement, des bibliothèques populaires, des écoles professionnelles, des conférences, de la liberté scientifique, et surtout de M. le ministre de l’instruction publique, qui est le grand ennemi, qu’il s’agit de renverser, dût-on offrir en échange au gouvernement l’appui du clergé dans les élections prochaines. M. Duruy se trouve en vérité