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légumes. Leurs chambres, soigneusement ventilées (ils ont, paraît-il, une habileté particulière dans les arts de la ventilation), sont parfumées de ces bonnes odeurs que la pureté répand derrière elle. « Tout dans le petit village embaume comme des objets qui ont été longtemps en contact avec la lavande et les feuilles de roses. » Grâce à leur vie simple, ils ne connaissent pas les maladies dont nos mauvaises habitudes nous gratifient. « Nous avons eu un cas de fièvre en trente-six ans, me dit Antoinette (l’elderess ou supérieure de la communauté), et nous en fûmes très honteux; c’était entièrement notre faute. » Ils ont un goût particulier pour l’agriculture et le jardinage, et ils s’y appliquent avec la tendresse que l’on apporte à l’éducation des enfans. M. Dixon a noté quelques traits de caractère où la débonnaireté monastique se mêle à la finesse pratique de l’Américain et qui arrachent un léger sourire. Une superbe rangée de pommiers s’élève au-dessus du mur d’enceinte de leur communauté. « Comment faites-vous pour empêcher les passans de vous dépouiller de vos fruits? » demanda le voyageur à l’elder Frédéric. Alors l’elder lui montra un des pommiers qui sortait un peu de la ligne et qui étendait ses rameaux en dehors du mur. « Ceux qui ont envie d’une pomme cueillent à cet arbre, dit-il, et laissent les autres tranquilles. » — « Est-il toujours vrai, remarque M. Dixon, que les enfans du monde soient plus avisés que les enfans de la lumière? »

Ce serait ici le cas de faire remarquer combien la vie monastique est naturelle à l’âme humaine, puisque, même au sein du protestantisme, il s’est produit sous les formes de la secte des shakers, de celle des frères moraves et d’autres encore; mais un pareil examen nous mènerait beaucoup trop loin, et je préfère signaler encore une croyance des shakers, qui leur est commune avec une foule de sectes de leur pays. Cette croyance, foncièrement américaine et grosse d’avenir religieux pour la grande république, est celle que nous avons déjà rencontrée chez les mormons, la croyance aux communications incessantes des morts avec les vivans. Les morts sont autour de nous, ils nous parlent non-seulement dans le rêve, mais dans la veille. Les shakers n’admettent pas la résurrection générale, qui serait en contradiction avec leur croyance à l’existence actuelle du règne du Christ. Les morts n’ont plus à ressusciter, puisque le Christ est définitivement venu. Pour le shaker, ce mot de mort est donc une fausse expression : ce que nous appelons mourir n’est que dépouiller un vêtement; mais celui que nous croyons parti est toujours avec nous. « Antoinette m’affirme qu’elle parle avec les esprits plus librement qu’elle ne me parle; cependant je ne vois pas qu’elle ait le cerveau dérangé sur aucun autre point, car à coup sûr ses discours sont fort nets et fort sensés. La chambre