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temps. Ce n’est pas que ces mariages soient formellement autorisés, mais la loi est muette à cet égard, et on connaît l’axiome, ce que la loi ne défend pas est permis. Lorsque Brigham Young fut interrogé à ce sujet par M. Dixon, il commença par nier que de pareilles unions existassent ; alors M. Dixon lui cita un cas à sa connaissance que le chef du mormonisme n’aurait pas dû ignorer. Un elder avait épousé une femme, mère d’une jeune fille de douze ans ; de cette femme il eut quatre enfans, et lorsque la jeune fille fut arrivée à l’âge nubile, il l’épousa. « Young me répondit que ce n’était pas une chose commune au Lac-Salé. — Mais cela arrive-t-il ? — Oui, me répondit Young, cela arrive quelquefois. — Par quelles raisons votre église justifie-t-elle cette pratique ? — Après une courte pause, il me répondit avec un sourire plein de câlinerie : Cela fait partie de la question de l’inceste. Nous n’avons encore aucune lumière certaine sur ce sujet. Je puis vous donner mon opinion personnelle, mais vous ne la publierez ni ne la révélerez, de crainte que je ne sois mal compris et blâmé. — Il me fit alors une communication sur la nature de l’inceste ; mais ce qu’il m’a dit, je ne suis pas libre de l’imprimer. » Je ne sais pas ce que Brigham Young peut avoir dit à M. Dixon ; mais vraiment ce qu’il ne répète pas ne peut pas être beaucoup plus grave que le petit bout de conversation suivante. Un saint nommé Wall avait épousé sa demi-sœur. M. Dixon demanda alors au président si l’inceste véritable, c’est-à-dire le mariage du frère et de la sœur, était légitime dans son opinion. « Parlant en son propre nom et non plus au nom de l’église, il me dit qu’il n’y voyait aucune objection. — Ce genre de mariage s’accomplit-il quelquefois ? — Jamais. — Est-il défendu par l’église ? — Non, il est défendu par le préjugé. — L’opinion publique ne le souffrirait pas ? — Je ne contracterais pas moi-même une telle union, et je ne permettrai pareille chose à personne tant que je pourrai m’y opposer. — Alors vous ne le défendez pas et vous ne le pratiquez pas ? — Mes préjugés s’y opposent. »

Qui croirait qu’au milieu de ces horreurs polygamiques il se rencontre une conception d’une réelle beauté et telle qu’elle ferait honneur à la religion la plus pure ? Nous savons depuis longtemps ce qu’on entend chez les mormons par la femme spirituelle. Outre le mariage charnel, on peut en contracter un autre qui, selon les circonstances, peut être moins important ou plus important que le premier ; ce mariage spirituel s’appelle le sealing. Si deux êtres ont reconnu que leurs âmes sont faites l’une pour l’autre, ils se font sceller l’un à l’autre pour la vie et pour l’éternité. Dans la pratique, il résulte de cette coutume des singularités fort plaisantes, car il paraît qu’on peut se faire sceller soit pour le temps seulement, soit pour l’éternité seulement, et qu’une femme qui est