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vitable, plus on est marié, plus on est saint. Ajoutez qu’un grand nombre de femmes ne confère pas seulement la sainteté, il donne l’influence sociale. « Je me marierai prochainement de nouveau, disait un elder à M. Dixon ; je veux m’élever dans l’église, et vous en avez vu assez pour savoir qu’un homme n’a de chances dans notre société qu’à la condition d’avoir une vaste famille. Pour avoir quelque poids ici, il faut être connu comme le mari de trois femmes. » Trois femmes, c’est le moins ; aussi les apôtres dépassent-ils ce chiffre pour la plupart. Le tableau suivant, qui nous est donné par M. Dixon, a quelque chose de vraiment comique pour un Européen, surtout s’il appartient comme nous à cette nation qui, malgré tout ce qu’elle a vu depuis l’Usbek de Montesquieu, a toujours une inclination à demander comment on peut être Persan.

« Orson Hyde, premier apôtre, a quatre femmes ;
« Orson Pratt, second apôtre, a quatre femmes ;
« John Taylor, troisième apôtre, a sept femmes ;
« Wilford Woodruff, quatrième apôtre, a trois femmes ;
« George Smith, cinquième apôtre, a cinq femmes ;
« Amasa Lyman, sixième apôtre, a cinq femmes ;
« Ezra Benson, septième apôtre, a quatre femmes ;
« Charles Rich, huitième apôtre, a sept femmes ;
« Lorenzo Snow, neuvième apôtre, a quatre femmes ;
« Erastus Snow, dixième apôtre, a trois femmes ;
« Franklin Richards, onzième apôtre, a quatre femmes ;
« George Cannon, douzième apôtre, a trois femmes. »

Quant au président et pape de cette société patriarcale, Brigham Young, il a douze femmes en titre, et il est scellé à une infinité d’autres. L’une d’elles, qui semble être simplement sa femme spirituelle et son Égérie, est une personne distinguée, Eliza Snow, poétesse d’une certaine réputation. Ces douze femmes ont conféré à Young la bénédiction de quarante-huit enfans. Si chacun de ses enfans s’acquitte des devoirs de la procréation avec autant de conscience que lui, il est clair qu’en peu de temps sa postérité sera nombreuse, sinon comme les sables de la mer, au moins comme les étoiles du ciel.

Aux faits déjà connus sur la polygamie à Utah, M. Dixon ajoute certains détails qui peuvent causer un tressaillement, même à ceux que l’étude de l’histoire a blasés sur les erreurs et les folies de l’esprit humain. Les mormons ont fait revivre la polygamie sous sa forme la plus ancienne, c’est-à-dire sous la forme incestueuse, sous ce prétexte qu’elle est la plus respectable, ayant été pratiquée par les patriarches. Un mormon peut épouser non-seulement toutes les filles nées d’une même mère, mais la mère et les filles en même