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Un jour Blanche avait dit au lieutenant :

« Monsieur Astier, ces messieurs prétendent que vous dessinez gentiment ; envoyez-moi donc quelques images ! »

Astier s’en fut tout droit chez le papetier à la mode et rapporta plusieurs douzaines de niaiseries enluminées.

« La plaisanterie est bien de mauvais goût, dit-elle.

— Mademoiselle, j’ai choisi celles qu’on donne dans les couvents aux petites filles bien sages. Si vous ne vous en trouvez pas digne, je pourrai les rendre au marchand. »

Une autre fois elle l’attaqua ainsi devant plus de quinze témoins :

« Monsieur Astier, quand vous étiez soldat,… car vous avez porté le sac, n’est-il pas vrai ?

— Comment donc ! je l’ai même porté très-loin.

— Eh bien ! quand vous étiez un simple troubadour, couchant à la chambrée et mangeant à la gamelle, dans quel monde alliez-vous, s’il vous plait !

— Dans le monde des bonnes gens, mademoiselle ; mais vous avez trop d’esprit pour comprendre jamais ça. »

Lorsqu’elle croyait tenir un fait à la charge de son ennemi, elle en faisait l’objet d’une interpellation publique :

« Monsieur Astier, avez-vous encore vos parents ?

— Grâce à Dieu, oui, mademoiselle.

— Et que fait monsieur votre père ?

— Il garde les fagots du gouvernement.

— Ah ! ah ! Et Mme Astier, votre mère ?

— Elle fait la soupe au père Astier.

— Mais c’est patriarcal ! Dites donc, ces honnêtes forestiers seront joliment fiers de vous quand vous aurez la croix !

— Il n’ont pas attendu si longtemps, mademoiselle. »

Les paroles de ces dialogues sont peu de chose sans la musique. Il aurait fallu voir les adversaires en présence, entendre la voix grêle et traînante de Mlle Vautrin, le timbre mâle du lieutenant et son ton bref. L’avantage ne restait pas souvent à Blanchette, et, comme il n’y a rien de plus cruel que la faiblesse, elle en vint aux dernières atrocités.

« Monsieur Astier, est ce que vous avez fait des campagnes ?

— Autant qu’il y en a eu de mon temps, mademoiselle.

— Et sous quels cieux avez-vous guerroyé, je vous prie ?

— En Crimée, en Afrique, en Italie

— Mais avez-vous rencontré des ennemis sur votre route ?

— Quelques-uns.

— Qu’est-ce qu’ils vous ont fait, ces méchants-là ?

— Ils ont fait mon avancement.