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l’Amérique ; mais laissons M. Dixon raconter lui-même les singuliers effets de cette influence.


« Presque tous les vieux trappers et conducteurs de chariots qui ont vécu parmi les Indiens sont polygames : Jean Baker, de Clear Creek, a deux femmes ; Mageary, de South Platte, en a trois ; Bent, de Smoky Hill, en a, paraît-il, épousé six. Comme le disait un chef indien au colonel Marcy, la première chose qu’un Yengee demande dans les plaines, c’est abondance de femmes. Si Petit-Ours boit et bat à mort sa squaw, Jean Smithers a appris à se faire un jeu d’enlever les chevelures. J’entends raconter dans les plaines des aventures qui glacent le cœur. Jack Dunkier, de Central City, scalpa cinq Sioux en présence d’un de ses camarades, blanc comme lui. Ce même enfant du Colorado entra, dit-on, à Denver, avec la cuisse d’un guerrier indien pendue à sa selle, cuisse qu’il avait coupée du tronc, et dont il se vanta d’avoir vécu pendant deux jours. Personne ne crut l’histoire, mais une vanterie est un fait dans son genre, et il n’est pas douteux qu’à Denver un homme blanc s’est glorifié d’avoir fait bouillir et d’avoir mangé des tranches de chair humaine. Un Pawnee serait fier d’un tel acte et s’en vanterait lorsqu’il serait revenu auprès de sa tribu. Le Yengee apprend vite à imiter les crimes de l’homme rouge. Un des volontaires de Sand Creek revint à Denver avec le cœur d’une femme piqué au bout d’un pieu ; après avoir tué la femme indienne, il lui avait ouvert la poitrine et en avait tiré le cœur. Personne ne le blâma, et son trophée fut reçu avec des acclamations par la canaille dans les rues. Je suis heureux de dire que l’opinion des blancs subit un changement à l’égard de l’acte de cet homme, même dans les barbares districts des mineurs, non que personne songeât jamais à l’arrêter pour ses crimes, ou que ses camarades pensassent plus mal de lui pour sa brochette, mais les plaisanteries du cabaret, du tripot, de l’estaminet, se mirent à pleuvoir sur cet exploit, et ce garçon, manquant d’esprit et de patience, s’enfuit de la ville et ne revint plus. Chez les Cheyennes, un tel crime aurait élevé un guerrier au rang de chef. Un outrage qui me parut plus révoltant même que le meurtre d’une squaw indienne en temps de guerre, quoique cet outrage n’implique pas perte de vie, c’est la violation des tombeaux indiens par les Yengees. Un convoi du gouvernement, passant à travers le territoire indien, arriva près d’un entassement de pierres et de quartiers de rocher que le trapper expérimenté qui accompagnait le convoi désigna comme le tombeau de quelque grand chef ; alors les gars de l’ouest découvrirent le sépulcre, jetèrent dehors les os du guerrier mort, et enlevèrent l’arc et les flèches, la cuiller de corne de buffle (un officier de l’armée des États-Unis me donna cette corne comme souvenir), les colliers, les ornemens et les restes d’une robe de buffle dans laquelle le chef avait été enveloppé pour son dernier repos. »