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territoire, l’empire de l’homme de race blanche est disputé ou menacé, fait considérable et que n’avait pas prévu la constitution républicaine, qui ne fut jamais faite ni pour des hommes de race noire ni pour des hommes de race jaune.

Il est d’autres régions où cet empire de la race blanche est disputé avec un acharnement héroïque souvent, cruel plus souvent encore : ce sont les vastes solitudes à l’ouest du Mississipi et du Missouri, aujourd’hui suprême asile de ces hommes de race rouge autrefois maîtres de tout le pays. Les Indiens occupent une grande place dans le livre de M. Dixon, qui donne à leur égard les détails les plus intéressans. Comme les nègres et les hommes de race jaune, ils sont localisés; mais cette localisation, loin d’être pour eux un principe de force comme pour les deux autres races, est au contraire un principe de faiblesse, car elle est le fait de la fatalité des circonstances et non du libre choix. On a souvent blâmé la politique que les Américains ont tenue à l’égard des Indiens; à mon avis, les explications fournies par le livre de M. Dixon la justifient pleinement. Dans le Comme il vous plaira de Shakspeare, un misanthrope excentrique qui ne peut souffrir que les amoureux gravent leurs noms sur l’écorce des chênes s’indigne contre la férocité de l’homme qui vient poursuivre sur leur propre domaine les fauves citoyens des forêts. Il n’est personne d’entre nous qui prenne plus au sérieux qu’elle ne le mérite cette boutade du misanthrope Jacques; les accusations qui ont été élevées contre la conduite des Américains dans leurs rapports avec les Peaux-Rouges ne sont cependant pas beaucoup plus sérieuses. Pour que le Peau-Rouge puisse vivre selon ses lois de sauvage, il faudrait non-seulement que l’œuvre de la civilisation se ralentît, mais qu’elle disparût. Peu à peu les Peaux-Rouges ont été relégués dans les territoires à l’ouest du Mississipi et du Missouri; or dans ces solitudes même la civilisation les trouble sans le vouloir, et restreint leurs droits, quelques ménagemens qu’elle y mette. Voici un exemple entre beaucoup d’autres. Il s’agit d’ouvrir une route allant de Saint-Louis au Lac-Salé, route indispensable et dont l’homme rouge, s’il lui plaît, pourra profiter comme l’homme blanc. Vous nous la donnez belle, répondent Nez-Romain, Faucon-Noir, Chien-Tacheté et autres chefs avec lesquels il faut traiter; qu’est-ce que cela nous fait que cette route soit libre pour l’homme rouge comme pour l’homme blanc? Vous violez notre territoire et vous restreignez nos terrains de chasse. Est-ce qu’un Indien aurait le droit d’aller chasser dans vos champs de l’Ohio? C’est cependant un dégât bien plus considérable que vous commettez en ouvrant une route sur notre territoire. Vos malles-poste et vos chariots font fuir le buffle, animal indépendant qui déteste le voisinage de l’homme blanc. Le dommage que ces routes causent à l’homme rouge, Faucon-Noir l’a résumé par cet axiome d’une