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teinte. Il y a deux secours merveilleux pour ceux qui se trouvent ainsi à côté de la toute-puissance sans espoir vraisemblable et permis de l’obtenir. D’abord, sous les mauvais princes, le peuple a besoin de se créer une chimère; il cherche des consolations, se leurre d’espérances, caresse une idole; comme les natures romanesques, froissées, souffrantes, il revêt cette idole de toutes les perfections. Ensuite ce souffle populaire soutient une âme douée de qualités brillantes, qui a de l’honneur, sinon de l’ambition; il lui donne des ailes et une sorte de virginité jalouse. Le sentiment de la conquête, une ardeur qui ressemble à celle de l’amoureux, l’auréole qui ajoute au front la légèreté et l’allégresse, tout en un mot rend l’homme meilleur, les intentions plus pures, la vertu plus facile. Telle a été la condition, non-seulement de Germanicus, mais de son père Drusus, qu’on appelait Drusus l’ancien, et qui a exercé sur les destinées de son fils une influence plus considérable que les historiens ne le disent. J’essaierai de le prouver sans exagérer rien et en laissant à Germanicus le rang principal. Le père et le fils appartiennent à cette famille universelle de princes qui promettent beaucoup avant de régner, qui tiennent moins qu’ils n’ont promis quand ils règnent, et qui ne conservent le cœur de leurs contemporains qu’à la condition de ne point être placés devant la brèche et de s’en tenir à un amour platonique pour la liberté.


I.

Néro Claudius Drusus était né en 714 ; il était frère cadet de Tibère. Je ne retrace point sa biographie, elle tient étroitement à l’histoire du règne d’Auguste. On a prétendu qu’il était fils de l’empereur, parce que Livie était enceinte de six mois quand Auguste l’épousa : quelques courtisans distinguaient même sur leurs traits une certaine ressemblance; mais cette opinion n’est pas soutenable. Il est évident qu’Auguste, si Drusus avait été son fils, l’aurait gardé dans sa maison du Palatin au lieu de le renvoyer à Tibérius Néro, et qu’il l’aurait adopté de préférence à Tibère, qui ne lui était rien, qui ne lui inspirait que de l’aversion. Tout jeune, Drusus était agréable à Auguste, moins à Livie, à qui il rappelait des circonstances pénibles. Il est dur pour une femme altière d’arriver grosse dans la maison d’un nouvel époux et de renvoyer trois mois après comme une honte l’enfant à qui elle donne la vie; Drusus toutefois gagnait l’affection par sa grâce naïve et ses reparties enfantines. Il était le favori du Palatin, tandis que Tibère n’y était que toléré. L’un montrait les qualités les plus aimables, l’autre le caractère le plus sombre et une tristesse pleine de raideur. Machiavel, l’auteur de