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sibles. Nous ne saurions dire de quel prix est pour nous ce service rendu à l’histoire et à la vérité. Ressusciter un tel témoin, le faire parler, le faire entendre aux esprits de nos jours, c’est jeter tout un flot de lumières sur cette grande époque et sur l’admirable figure qui la domine et la personnifie. M. de Wailly fait aujourd’hui, par amour pour le XIIIe siècle, ce qu’entreprit, pour l’honneur de la maison où elle était entrée, la petite bru du saint roi : il rend la vie à ce qu’elle a créé, il perpétue son œuvre en ranimant ce témoignage dont elle avait prévu l’incomparable autorité,


I.

Ce n’est pas en effet de son propre mouvement que l’historien de saint Louis se résolut à raconter sa vie. Il céda aux prières d’une femme, sa souveraine, l’épouse de son roi, reine elle-même de son chef, cette Jeanne de Champagne qui avait apporté en dot à Philippe le Bel la couronne de Navarre. Plus de trente ans s’étaient déjà passés depuis que le roi Louis avait quitté ce monde. Proclamé saint de son vivant par tous ceux qui l’avaient connu, y compris ceux qu’il avait combattus, et par les infidèles eux-mêmes, depuis sa mort, au bout de vingt-sept ans, il l’était devenu légalement de par l’église. La procédure et les enquêtes pour sa canonisation s’étaient prolongées tout ce temps avec les précautions et les délais d’usage; mais enfin depuis 1297, l’arrêt étant rendu, on avait déjà vu plus d’une fois, en bien des églises de France, des autels nouvellement dressés ou consacrés à nouveau se parer de fleurs le vingt-cinquième jour d’août, et les populations reconnaissantes s’agenouiller avec bonheur devant ce nouveau patron. Maigre ces pompes et ces respects, malgré cette gloire religieuse, la reine de Navarre ne pensait pas que tout fût dit, et que la dette de la France envers cette sainte mémoire fût encore acquittée. Elle voulait qu’indépendamment de ces honneurs publics des confidences plus intimes éclairassent la postérité, que le regard pût pénétrer jusqu’au fond de cette vertu, et que des miracles d’abnégation, de fermeté, d’héroïsme, qui semblent dépasser les forces de la nature humaine fussent attestés et certifiés par un témoin irrécusable, poussant jusqu’à la rudesse la franchise et l’intégrité. A qui pouvait-elle s’adresser, si ce n’est au conseiller, à l’ami, au fidèle compagnon qui pendant vingt-deux années n’avait quitté son roi ni dans les bons ni dans les mauvais jours, partageant ses périls à la guerre, ses chaînes dans la captivité? Était-ce sans dessein que la Providence le faisait vivre au-delà du terme ordinaire? Ne voulait-elle pas que cette voix se fît entendre à ce XIVe siècle qui venait de commencer.