Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/115

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont ces circonstances? Notons que ce ne sont point là des préoccupations spéculatives, c’est un ordre de pensées tout à fait usuel, nous pourrions dire industriel. Tout le monde sait que nos machines n’utilisent qu’une faible portion de la chaleur produite par leur foyer. Pourquoi? D’où viennent les obstacles? Sont-ils tous d’ordre pratique, ou bien est-il théoriquement démontré qu’une portion seulement de la chaleur empruntée au foyer peut se convertir en travail?

Avant de répondre à ces questions, reportons-nous à l’année 1824, où Sadi Carnot publiait ses Réflexions sur la puissance motrice du feu et sur les machines propices à déterminer cette puissance. C’était le moment où l’usage des machines à vapeur se répandait dans l’industrie, et les ingénieurs s’attachaient à en étudier de près les effets. Sadi Carnot adopte sur le calorique les idées de son temps, celles que Laplace avait défendues dans ses mémoires et appliquées dans ses calculs; il admet que le calorique est une substance matérielle, c’est un fluide qui tend naturellement à passer des corps chauds sur les corps froids et qui dans ce passage peut produire un travail, absolument comme une masse d’eau, en se rendant d’un réservoir supérieur à un réservoir inférieur, peut faire tourner une roue. Dans les idées de Carnot, l’assimilation est complète entre les deux phénomènes. La température est la cote de nivellement propre au fluide calorifique. Ce fluide descend d’un corps supérieur (en température) dans un corps inférieur, et cette chute produit un travail. Quand le travail est produit, toute la chaleur qui y a concouru se retrouve, absolument comme l’eau qui a fait marcher une roue hydraulique se retrouve tout entière dans le bief d’aval. C’est ainsi que Carnot expliquait le travail des machines. Sur cette base, il édifia toute une théorie qui fit sensation quand elle parut et qui a conservé dans la science une importance capitale. Nous n’avons plus besoin de montrer en quoi cette théorie est erronée. Pour Carnot, qui regardait le calorique comme un corps matériel, la chute de chaleur pouvait produire un effet mécanique; pour nous, elle n’est plus qu’une métaphore et ne peut pas être la cause efficiente d’un travail. Si toute la chaleur qui est sortie d’un foyer se retrouvait dans le condenseur de la machine, le travail aurait été produit de rien, ce que nous ne pouvons admettre. Nous savons clairement aujourd’hui qu’un certain nombre de calories sorties du foyer ne se retrouvent plus nulle part, et qu’on les chercherait vainement sous forme de calorique, puisqu’elles ont pris la forme de travail produit.

Regardons-y pourtant de près. Est-ce à dire qu’il n’y ait rien à prendre dans le raisonnement de Carnot? Faut-il rejeter en bloc sa