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l’était pas du tout. Ce fut l’enfant qui rassura les deux matrones, offrit un siége à Mme Humblot, et la pria de développer à loisir les motifs de son aimable visite.

Mme Humblot sentit qu’il n’y avait plus à s’en dédire, et après quelques mots d’excuse elle exposa en bons termes qu’elle était veuve depuis longues années, qu’elle avait une fille de dix-neuf ans, et qu’elle faisait valoir elle-même un patrimoine considérable à Marans, Charente-Intérieure. Un concours d’événements imprévus, pour ne pas dire singuliers, l’entraînait à marier sa chère Antoinette avec un officier de la garnison de Nancy. Ce jeune homme semblait fort bien à première vue ; mais on n’était pas suffisamment renseigné sur son caractère, ses habitudes et ses principes, et une mère invoquait l’antique franc-maçonnerie des mères pour obtenir de Mme Vautrin, dans un moment si capital, la vérité décisive.

Ce préambule honnête intéressa la femme du colonel et parut la mettre à son aise. Mme Vautrin répondit qu’elle était bien sensible à l’honneur qu’on lui faisait, et promit de s’éclairer en conscience. Malheureusement elle ne connaissait tous ces messieurs que par l’échange des politesses indispensables ; elle était à peine du monde, l’éducation de son petit diable et la sainte tapisserie remplissaient toutes ses journées, elle n’avait aucune liaison particulière avec les autres femmes de la garnison ; mais dès qu’un intérêt si grave entrait en jeu, elle se ferait un devoir de frapper à toutes les portes. D’ailleurs, si le jeune homme appartenait au régiment, M. Vautrin connaissait tout son monde à fond, comme César :

« Un coup d’œil d’aigle, madame, et un cœur de père.

— Je ne sais pas, répondit Mme Humblot, si ce monsieur a l’honneur de servir sous les ordres du colonel Vautrin.

— Du moment qu’il est dans l’infanterie !… Il n’y a que notre régiment à. Nancy

— Mais peut-être est-il cavalier. Nous ne l’avons pas vu en uniforme.

— Vous m’étonnez. Son grade ?

— Capitaine, je pense, ou lieutenant pour le moins. Il ne s’est pas expliqué la-dessus.

— C’est donc un original ? Comment s’appelle-t-il, ma chère madame ?

— Hélas ! je compte sur vous pour nous aider à savoir son nom. »

À ce coup, Mme Vautrin ouvrit des yeux énormes, et la jeune fille pouffa de rire. L’étrangère comprit que son bon sens était mis en doute ; aussi reprit-elle vivement :

« Je vous expliquerai en peu de mots ce qui vous étonne, madame, et vous reconnaîtrez que, s’il y a quelque excentricité dans mon fait, le hasard ou la Providence en