Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/109

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

définitivement classé parmi les hérésiarques, et quelques faibles communautés de samosaténiens perpétuèrent seules jusqu’à la fin du Ve siècle le nom et la doctrine de l’évêque unitaire.

Cependant on se tromperait fort, si l’on pensait que l’esprit à la fois religieux et libéral qu’il avait communiqué à la chrétienté de Syrie fut complètement étouffé. Antioche ne tarda pas à redevenir la capitale du libéralisme chrétien, revêtu d’autres noms et d’autres formes. Tandis qu’Alexandrie s’adonnait de plus en plus à une métaphysique subtile et creuse qui devait un jour la mener au schisme et à l’hérésie, tandis qu’à Rome le principe de l’obéissance passive à la tradition devenait toujours plus absolu, Antioche voyait fleurir dans ses murs une école de théologie qui jeta le plus vif éclat sur le IVe et le Ve siècle de l’église. Cette école, par opposition à la spéculation à outrance d’Alexandrie et au traditionalisme de l’Occident, doit être désignée comme essentiellement historique et critique. Là seulement on fit pendant deux siècles de l’exégèse sérieuse, fondée sur la grammaire et sur l’histoire. Cette école fut fondée à la fin du IIIe siècle par les deux presbytres Dorothée et Lucien, connus, le dernier surtout, par leurs études bibliques et souvent accusés de sympathiser avec Paul de Samosate. Il sortit de cette école une élite d’écrivains et de prédicateurs d’opinions dogmatiques très différentes, mais tous reconnaissables à un certain air de famille. Les trois Eusèbe, celui de Césarée, celui de Nicomédie et celui d’Émèse, Cyrille de Jérusalem, Apollinaire, Éphrem, Diodore de Tarse, Jean Chrysostome, Théodore de Mopsueste, sont élèves de l’école d’Antioche. Au IVe siècle, l’unitarisme releva la tête et livra son combat suprême sous une forme logiquement très médiocre, l’arianisme, qui, malgré ses défauts, fut un moment tout près de triompher dans l’église entière. S’il eût décidément vaincu, il eût opéré certainement un retour vers un christianisme moins dogmatique et moins clérical que l’orthodoxie sanctionnée définitivement en 381. Eh bien ! l’arianisme est sorti de l’école d’Antioche. Arius, Eunomius, Aétius, les coryphées de l’arianisme, Nestorius, qui revient à l’unitarisme par un chemin détourné, ont reçu là leur éducation théologique. Antioche et la Syrie furent, pendant tout le temps que dura la lutte, le quartier-général de l’arianisme, et quand on se demande pourquoi le mythe syrien du monstre marin vaincu par un héros céleste, ce mythe déjà transformé par les Grecs en celui de Persée et d’Andromède, est devenu chez les chrétiens le combat de saint George et du dragon, il est bien difficile de ne pas voir dans le nom du saint un écho de l’admiration que le peuple chrétien de Syrie avait vouée à certain évêque arien du nom de George, compétiteur violent d’Atha-