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teurs portant leurs faisceaux. Il aurait pu ajouter que ce n’était pas lui qui avait créé l’usage des sœurs introduites, que ce n’était pas sa faute si les Syriennes sont généralement fort belles, et qu’il déliait sur ce point les investigations des plus rigoureux. Il aurait pu dire encore que si de pauvre il était devenu riche, c’était antérieurement à son épiscopat, et que la confiance unanime du peuple prouvait à tout juge impartial que ce n’était point à d’odieuses prévarications qu’il devait sa fortune, qu’un évêque d’Antioche intelligent et connaissant son monde ne pouvait être blâmé de répandre le goût du chant religieux dans une population féminine fréquemment sollicitée par les sons d’une tout autre musique, ni de préférer des hymnes reflétant ses propres opinions à des cantiques destinés à populariser des idées qu’il croyait fausses. L’évêque accusé n’aurait-il pu répondre aussi qu’il était monstrueux de prétendre que, dans une ville comme Antioche, en présence du concile assemblé tout exprès pour le juger, on avait trop peur de lui et de son entourage pour oser préciser les griefs que pouvait avoir fait naître son ministère épiscopal ? Il eût pu dire tout cela, mais cela n’eût servi de rien, car on ne voulait pas même se livrer à une enquête contradictoire dès qu’il s’agissait d’un hérétique aussi désespéré. Ce n’était pas assez que l’hérétique se trompât, il était de plus nécessairement criminel et pervers. Du moment qu’il ne croyait pas en Dieu tout à fait comme la majorité épiscopale y croyait elle-même, il était athée, et c’est avec la plus effrayante bonne foi que les membres du concile signèrent un exposé de griefs peut-être tous imaginaires, mais qui dans leur pensée étaient certainement moins graves que la réalité, quelle qu’elle fût.

Ceux qui avaient excommunié Paul de Samosate n’étaient pas moins dans un piteux embarras. Leurs dénonciations passionnées avaient trouvé de l’écho partout, excepté dans la région même où il eût été le plus nécessaire à la dignité du concile qu’elles en trouvassent. Antioche demeurait opiniâtrement fidèle à son évêque. On avait dit aux chrétiens de cette ville qu’ils étaient tyrannisés odieusement, qu’on venait briser leurs fers, et les chrétiens d’Antioche se voyaient dans la position singulière de ceux qui se trouvent très bien comme ils sont, de ceux qu’on veut à tout prix sauver d’un mal imaginaire. Ce n’était pas chose mince que l’exemple donné par une église aussi nombreuse, aussi influente, surtout quand on pense que l’unitarisme comptait encore dans le reste de l’empire de nombreux partisans et menaçait de reconquérir le terrain perdu. On ne pouvait pas même expliquer l’opiniâtreté des chrétiens d’Antioche par l’appui que Paul trouvait dans la faveur de Zénobie. L’astre de la seconde Sémiramis avait pâli. Son pouvoir dans An-