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l’accuser. Mais enfin, nous l’avons dit, tout cela serait à redresser chez un homme d’opinion catholique et qu’on devrait compter dans nos rangs ; au sujet d’un homme qui a abjuré la vérité divine (μυστήριον) et qui a embrassé la criminelle hérésie d’Artémon (pourquoi ne pas nommer son père spirituel ?), nous avons pensé qu’il était inutile de faire une enquête circonstanciée… Nous avons donc été forcés de le déclarer ennemi de Dieu et insoumis, et d’établir à sa place dans l’église un autre évêque. Pour cela, nous avons élu, d’accord, croyons-nous, avec la divine Providence, Domnus, orné de tous les dons qui conviennent à un évêque et fils du bienheureux Démétrianus, qui avant celui-ci s’est distingué comme chef de la communauté d’Antioche, et nous vous l’avons annoncé pour que vous lui écriviez et receviez ses lettres[1]. Que l’autre écrive à Artémon, et que les partisans d’Artémon communiquent avec lui ! »


La perfidie naïve dont ce factum est tout confit n’aura échappé à personne. Il y a du sophiste Malcion là-dessous, il y a du professeur de rhétorique usant et abusant des prétéritions qui ne font que mieux ressortir la gravité de ce que l’on dit tout au long. Les signataires de la lettre commencent par déclarer que, Paul de Samosate étant convaincu d’erreur doctrinale, sa conduite morale n’importe pas, ce qui n’empêche pas que cette lettre est pleine d’accusations contre le caractère de l’évêque détesté. On avait besoin, cela est visible, de le discréditer moralement auprès de lecteurs qui n’eussent probablement pas trouvé l’erreur suffisante pour motiver une déposition. De quel droit en effet supprimait-on en lui une liberté qui n’avait pas encore été restreinte ? Paul ne pouvait-il alléguer pour sa défense les noms vénérés de ces anciens unitaires morts paisiblement, même en odeur de sainteté dans l’église, sans que nul encore eût songé à les excommunier à cause de leurs opinions sur les origines métaphysiques du Christ ? Nous lisons à travers les lignes de la lettre que Paul n’a été accusé devant le concile que par Malcion, le sophiste presbytre, qui paraît en avoir beaucoup voulu à l’estrade de son évêque, à son manque de décorum dans l’église (il se frappait la cuisse !) et au cortège dont il était entouré dans la rue (il avait des gardes !). Paul sans doute eût pu répondre que dans l’église, avec ses amis et en bon évêque, il ne tenait guère à l’étiquette, et que dans la rue, ducenarius procurator, il devait, selon les prescriptions impériales, marcher avec les insignes consulaires, par conséquent avec des lic-

  1. Dans la théorie catholique du temps, un nouvel évêque était légitimé par le fait qu’il était reconnu en sa qualité par le corps entier de l’épiscopat, et cette reconnaissance s’effectuait par l’échange de lettres de communion.