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affranchi de toute superstition sur les mérites du premier. Il en savait les fautes et les méfaits avec une exactitude, une érudition sans pareilles, et professait sur ce sujet de la façon la plus sagace et la plus instructive. Esprit précis, peu soucieux des théories, les gratifiant peut-être d’un dédain un peu trop cavalier, il avait la mémoire abondamment meublée de dates et de faits, et puisait à cet arsenal avec un merveilleux aplomb. Ces dons, qui lui venaient surtout de sa nature, il les avait de bonne heure cultivés par l’étude du droit, et surtout du droit administratif. Auditeur au conseil d’état dès les dernières années de la restauration, il avait pris au sérieux sa carrière, s’était assimilé tout le Bulletin des Lois, et avait transformé certaine case de son esprit en un répertoire vivant. Aussi lorsque après 1830, les pourvois au contentieux cessant d’être plaides sur pièces et recevant les honneurs de l’audience, on dut chercher parmi la jeunesse du corps le praticien le plus expert, la parole la plus assurée, pour tenir tête aux avocats et donner devant ce tribunal, comme devant tous les autres, un organe au ministère public, M. d’Haubersart fut choisi. Il s’acquitta de sa mission avec tant de succès, porta dans ses résumés tant de clarté et de méthode, dans ses conclusions tant de fermes doctrines, qu’au bout de quelques années ce ne fut ni la politique, ni son crédit comme député, ni l’amitié de camarades devenus chefs du cabinet, mais bien les laborieux et signalés mérites du maître des requêtes qui lui valurent le titre de conseiller d’état en. service ordinaire, auquel il fut promu. Ces fonctions convenaient à ses goûts au moins autant qu’il était apte à les remplir. Pour lui, la politique n’était qu’une tâche, un devoir, le contentieux au contraire un exercice, presqu’un plaisir : d’où il suit que de tous les amis fidèles de la monarchie de juillet qui ont résigné leurs fonctions à sa chute, sans avoir jamais fait la moindre concession de principes pour essayer de les reprendre, nul ne s’est imposé peut-être un plus vrai sacrifice que le comte d’Haubersart. Sa vie devenait sans but, sans aliment pratique et quotidien. Il avait eu le tort de négliger le mariage au bon moment, et il n’était pas homme à faire les choses hors de saison. Par bonheur il se trouva pourvu de vraie philosophie en dose suffisante pour braver aussi bien l’inaction que la solitude. Une fois passée la crise qui avait brisé ses habitudes de travail, on le vit bientôt et sans peine se créer une vie douce à lui-même et agréable aux autres.

Il lui manquait pourtant une ressource qui pour certaines gens tient lieu de bien des choses et console de tout, il n’était point avare. Tendrement attaché à ses sœurs et à ses neveux, il ne se tenait pas pour obligé de s’enrichir à leur profit, et n’avait pas ce goût si attrayant, dit-on, d’amasser peu à peu seulement pour grossir le patrimoine reçu de ses parens ; il aimait au contraire à s’en faire un certain honneur, sans clinquant, sans ostentation, avec mesure et largesse tout ensemble. Son goût le plus dispendieux et purement personnel était l’amour des livres ;