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quatre-vingts ans d’intronisation, que très peu nombreux dans la péninsule. L’Inde n’est pas, à proprement parler, une colonie anglaise, c’est un empire dont les Anglais sont maîtres et seigneurs. Les représentans de la race conquérante tiennent en Asie, attirés par l’appât de grandes spéculations commerciales ou par les gros traitemens que le gouvernement britannique, héritier de la compagnie des Indes, prodigue à ses fonctionnaires et à ses officiers. En se soumettant à un régime hygiénique, ils supportent aisément la chaleur excessive du pays ; mais, si les adultes résistent à l’effet énervant de la zone tropicale, il n’en est pas de même pour les enfans. Ces petits êtres ne sont pas moins éprouvés au point de vue de la santé du corps par le climat que corrompus au point de vue moral par l’insouciance et les mauvais exemples des secteurs indigènes dont toute maison européenne est remplie. Les résidons renvoient leurs enfans en Angleterre aussitôt que possible. La famille se divise. Aussi, à peu d’exceptions près, il n’y a dans l’Hindoustan que des émigrans temporaires qui comptent les années de séjour avec impatience, et reviennent dans la mère-patrie aussitôt que leur carrière officielle ou commerciale est accomplie.

L’Inde restera donc aux Hindous. Voyons maintenant ce qu’ils sont par nature et ce qu’ils deviennent au contact d’une population étrangère qui les domine. Il serait superflu de rappeler ici les principes essentiels de la religion qu’ils professent. Le point principal à observer est que les dogmes interviennent dans tous les actes de la vie. Tantôt le brahmanisme dégénère en d’absurdes superstitions, tantôt il tolère et encourage même le crime : il y a une secte (thugs) pour laquelle l’assassinat est l’accomplissement d’un devoir religieux, et une autre (dacoïts) qui se livre avec ferveur au brigandage. D’aussi abominables coutumes ne sont pas encore tout à fait éteintes, bien que le gouvernement anglais s’applique à les extirper. Il serait injuste sans doute de juger une religion d’après la conduite de quelques bandes de fanatiques. La masse de la population, sans s’abandonner à de tels excès, est emprisonnée dans un réseau d’étroits préjugés. C’est d’abord, au premier chef, l’esprit de caste qui interdit toute communication, tout attouchement, entre certaines classes d’individus. Il est assez curieux d’entendre raconter à miss Mary Carpenter de quelle façon ces vieux préjugés s’effacent petit à petit devant les exigences de la société moderne. Voyons, par exemple, l’effet des chemins de fer. Le railway de Bombay à Surate traverse la Nerbudda, large rivière que l’imagination des natifs a déifiée. Les Hindous furent grandement indignés lorsqu’ils apprirent qu’on allait l’humilier en établissant un pont par-dessus. Aussi, au jour de l’inauguration, une immense multitude d’indigènes se réunit sur les rives de la rivière sacrée pour assister à la vengeance que la divinité tutélaire de la Nerbudda ne manquerait pas de tirer de cet outrage impie. Ils eurent un instant de satisfaction. Arrivé au milieu du pont, le train s’arrêta tout à