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cemment la prétention de supprimer jusqu’à la dernière trace d’autonomie en Pologne, jusqu’au nom de ce malheureux pays, elle s’est acharnée à ce travail d’assimilation ou de destruction avec une implacable ténacité ; mais il est évident qu’elle n’aurait pu réussir, si un tel succès est possible, que par la connivence de l’Autriche, que toute son œuvre est atteinte et ébranlée dès que le sentiment polonais, refoulé du royaume, trouve un refuge en Galicie. Le cœur de la nation se déplace et n’a pas cessé de battre. Voilà la difficulté pour la Russie, et cette difficulté se trouverait tout d’un coup singulièrement accrue, si une alliance se formait entre l’Autriche et la France. Ce serait la résurrection immédiate ou tout au moins à un moment donné de cette question polonaise que le cabinet de Saint-Pétersbourg a la prétention d’avoir ensevelie sous les ruines et sons ses décrets. Ce qu’il y a d’étrange, c’est de voir une telle question reparaître vaguement à l’horizon moins de cinq ans après le plus douloureux et le plus éclatant désastre, et qui pourrait dire aujourd’hui qu’elle n’aura pas un rôle dans les complications qui peuvent naître un jour ou l’autre, peut-être à l’improviste ?

C’est là en effet le caractère de cet état de l’Europe du nord et de l’orient : les questions les plus ardentes, les plus périlleuses, peuvent être ajournées, elles l’ont été bien souvent déjà, et elles peuvent aussi éclater subitement, de la façon la plus imprévue, par un de ces incidens qui échappent à tous les calculs de la politique, comme la mort du prince Michel de Serbie, qui vient d’être assassiné à Belgrade. C’est là certes une de ces péripéties inattendues qui peuvent changer en un instant toute une situation. Le prince Michel Obrenovitch, était le fils de Milosch, le vieux pâtre qui a bataillé pendant toutes les premières années de ce siècle pour la patrie serbe, et qui était arrivé à ceindre la couronne en se créant une souveraineté héréditaire qu’il a transmise à son fils. Le prince Michel était jeune encore, il n’avait pas plus de quarante-cinq ans ; il régnait depuis 1860. C’était un homme d’un cœur droit, d’une intelligence cultivée, aimant le bien et le progrès pour son pays, travaillant sérieusement à toutes les améliorations. Il avait réussi à se faire aimer de ses compatriotes, et à se faire estimer pour son caractère. On peut dire que pendant ses huit ans de règne il a constamment assuré à la Serbie une tranquillité complète, et il a fait mieux pour elle, il donnait il y a deux ans une garantie de plus à son indépendance nationale en obtenant diplomatiquement, l’évacuation des forteresses serbes par les Turcs. Le prince Michel régnait avec douceur, avec modération, s’inspirant d’un patriotisme prévoyant et réfléchi. Jusqu’à quel point la politique a-t-elle été le mobile des meurtriers qui l’ont frappé dans une promenade publique, au milieu de sa famille ? C’est ce qu’il est encore assez difficile d’éclaircir. Ce crime fût-il d’ailleurs l’œuvre d’une vengeance privée, la mort du souverain serbe n’en est pas moins de nature à avoir peut-être les