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votée est faite assurément pour développer les communications locales. C’est un progrès matériel que nous ne voulons pas nier, ou du moins ce sera un progrès matériel quand les lois seront devenues des faits, quand les promesses auront passé dans le domaine de la réalité. Après cela on pourrait se demander si toutes ces mesures qu’on s’est hâté d’accumuler à la fin de la session, qui ont en apparence un caractère purement économique, n’ont pas en même temps une certaine signification politique. Voies de communication de toute espèce, chemins de fer, chemins vicinaux, un homme d’esprit leur a donné le nom de chemins électoraux. Pour tout dire, le gouvernement, à la veille des élections, n’aurait pas ménagé les chemins pour arriver plus sûrement au scrutin, et il a d’autant plus de facilité qu’il s’est réservé une grande latitude dans la distribution de la manne de la viabilité vicinale, qu’il dispose d’une subvention de 100 millions, d’une caisse instituée pour alimenter les emprunts des communes jusqu’à concurrence de 200 millions. Voilà certes de puissans moyens d’action. Là-dessus M. le ministre de l’intérieur se récrie, M. Pinard s’indigne presque qu’on lui attribue de telles pensées. Il est pétulant, notre ministre de l’intérieur, depuis qu’on a laissé entendre qu’il n’était pas le maître dans son ministère, qu’il y avait deux politiques, et qu’il ne représentait pas la vraie, il ne souffre pas qu’on mette en doute sa responsabilité, et qu’on dispute au gouvernement le droit de disposer des chemins vicinaux, d’allonger ou de raccourcir le contingent kilométrique des communes, et il a même des élans champêtres pour expliquer le danger d’arrêter d’une manière définitive le classement des chemins, la nécessité de laisser au gouvernement la liberté de proportionner ses bienfaits aux variations de la vie rurale, aux déplacemens d’intérêts, aux migrations des villages, qui, à ce qu’il paraît, se transportent ainsi en quelques années d’un point sur un autre, de la montagne à la plaine. M. le ministre de l’intérieur, qu’il nous permette de le dire, considère un peu tout cela en orateur bucolique ; il voit un village descendant tout simplement du sommet de sa montagne, éprouvant le besoin de se fixer dans la vallée, d’aller « jusqu’au ruisseau où il a construit son lavoir, jusqu’à la gare qui le mène au chemin de fer ; » il n’en faut pas plus pour qu’un village quitte « ses vieux sentiers » et change de domicile, d’où la nécessité de ne pas enchaîner le gouvernement et les communes à un classement définitif et obligatoire des chemins. Fort bien, mais M. le ministre de l’intérieur ne peut certainement dire d’avance quel usage sera fait de cette latitude laissée au gouvernement dans la répartition des voies vicinales ; il ne dit pas si les communes, voyageuses ou sédentaires, qui auront l’inconvenante pensée de mal voter aux élections seront aussi bien dotées que les communes qui auront voté avec enthousiasme pour le candidat officiel. Le gouvernement, il faut le croire, n’abusera pas de ce puissant levier que