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mot, marcher dans le sens de la loi de 1865 sur les chemins de fer d’intérêt local en provoquant l’initiative individuelle.

Il est malheureusement vrai sans doute que sur cette pente où il est l’état n’a qu’à se laisser pousser, rien ne le prouve mieux que la multitude d’amendemens qui est venue l’assaillir ; chacun a présenté sa requête. Il est bien entendu qu’il n’y a plus de chemins d’intérêt local, tout est d’intérêt général, tout réclame l’intervention de l’état. Il est trop vrai que cette loi même de 1865 dont nous parlions n’a pas porté jusqu’ici des fruits très opulens. À part les chemins de l’Alsace, qui existent depuis plus longtemps, on compterait tout au plus six entreprises particulières formées dans les conditions de la loi de 1865, et de ce nombre est la construction des chemins de l’Eure, dont parlait avec feu M. Pouyer-Quertier ; mais il faut bien dire aussi qu’on met peu de zèle à encourager, à soutenir l’initiative individuelle dans cette voie. On raille ses projets quand elle veut faire des chemins à bon marché, on décrie les travaux qu’elle exécute, on lui mesure parcimonieusement les secours, on la laisse assez volontiers seule et faible en face des grands monopoles qui la cernent, auxquels elle est bien obligée d’aboutir, et qui lui imposent leurs conditions. Les grandes compagnies, dit-on, offrent à l’état plus de garanties. Nous le croyons bien, elles ont toujours sans doute la force d’action et les ressources plus étendues d’administrations puissamment constituées ; mais en somme elles ont tout juste la solidité et la puissance de crédit que leur assurent les subventions et les garanties de l’état. Si on agissait de même avec les petites compagnies, celles-ci auraient certainement plus de nerf, elles seraient plus vivaces. On pourrait citer telle compagnie particulière qui a eu du malheur pour bien des raisons, qui est maintenant en faillite et est par conséquent déchue. Qu’arrive-t-il ? Sa concession passe entre les mains d’une des anciennes compagnies avec une subvention qui peut être évaluée à 9 millions. Il n’eût pas fallu autant pour sauver l’entreprise primitive de la faillite. Comment veut-on d’ailleurs que l’industrie privée trouve des ressources, qu’elle se développe aujourd’hui, lorsque les grandes compagnies vont avoir à recourir au crédit pour leurs nouvelles concessions avec la garantie de l’état ? De telle sorte que l’industrie privée se trouve paralysée avant de se mettre à l’œuvre, et, quand elle a réussi à faire un chemin de fer, elle est enserrée, étouffée, dans le cercle des grands réseaux auxquels ses lignes restreintes et subordonnées doivent nécessairement se relier. Il en résulte une inégalité frappante, cette difficulté de vivre, cet état d’allanguissement où se traîne l’initiative individuelle.

Soit, l’état est libre dans le choix de ses moyens d’action ; il a peut-être ses raisons pour préférer comme auxiliaires les grands monopoles à l’industrie privée. Ce qui est certain du moins, c’est que ce n’est point par économie qu’il agit ainsi. L’état en vérité procède largement, libé-