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dans le système des grandes compagnies et les lignes d’un intérêt tout local ? a-t-il fait une part suffisante à l’industrie privée ? ne s’est-il pas montré par trop libéral dans des évaluations qui représentent une charge pour l’état, et par trop retenu quand il s’agissait de toucher aux tarifs ? C’est sur ces divers points que la discussion s’est animée, et ici le gouvernement a rencontré encore une fois tout armé pour la lutte, et vigoureusement armé, M. Pouyer-Quertier, qui devient décidément un athlète parlementaire. M. Pouyer-Quertier est partout presque à la même heure, au corps législatif et aux banquets protectionistes qu’on lui donne à Rouen, et partout il fait des discours avec cette effusion que donne le sentiment du succès. Il s’est jeté dans cette discussion avec une ardeur à peine refroidie depuis l’autre jour ; il a fait manœuvrer en général habile une nouvelle armée de chiffres, et, chose curieuse, par un singulier changement de rôle, c’est lui qui a été libéral cette fois en parlant des chemins de fer, c’est le gouvernement qui s’est fait protectioniste. M. Pouyer-Quertier avait perdu la bataille l’autre jour dans l’affaire du traité de commerce ; M. de Forcade la Roquette lui a laissé la victoire, au moins la victoire morale, dans la question des chemins de fer. M. Pouyer-Quertier a bien pu faire des confusions, grossir ses chiffres un peu arbitrairement et se laisser emporter par son imagination ; il n’était pas moins dans la vérité. Au fond, dans cette affaire des nouveaux chemins de fer, il y a trois points qui ont été plus particulièrement mis en relief et plus vivement débattus : il y a une question générale du système quant aux concessions, il y a une question d’évaluation du prix de revient et des charges mises au compte de l’état, et il y a une question de tarifs. Tout est là.

Et quand nous parlons du système de concession, il ne s’agit plus évidemment de revenir sur le passé, de ranimer des querelles rétrospectives. Les grandes compagnies ont été constituées, elles existent avec les privilèges de toute sorte qui font leur puissance. Elles ont eu dans cette immense entreprise de la création des chemins de fer un rôle dont il serait peu juste de méconnaître l’efficacité maintenant que l’œuvre est plus qu’à demi accomplie. Elles gardent une sphère d’action certes assez étendue. Si l’état s’était borné aujourd’hui à faire rentrer dans le domaine de ces compagnies quelques lignes nouvelles d’un intérêt général, ce ne serait rien ; mais la question est de savoir si le gouvernement n’a pas fait plus que cela dans ses conventions récentes, s’il n’a pas trop visiblement laissé percer ses préférences pour ces grands monopoles industriels qui enveloppent le pays, et que M. Picard comparait spirituellement aux grands commandemens militaires. La question est de savoir si le gouvernement n’aurait pas dû éviter autant que possible d’accroître encore ces grands monopoles et attribuer une plus large part à l’industrie privée dans ce qui reste à faire, s’il n’aurait pas mieux valu, en un