Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/1013

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

doute du vrai dans ce bon mouvement de confiance, si, à côté des optimistes voyant tout selon leurs espérances, les pessimistes ne venaient à leur tour, persistant plus que jamais dans leur incrédulité, et voyant tout en noir. Eh quoi ! disent pour leur part les pessimistes, ne vous apercevez-vous pas que ce ne sont là que des apparences trompeuses, que chacun joue son jeu dans cette grande et confuse partie ? M. de Bismarck est malade comme Sixte-Quint était vieux et cassé ; au jour de l’action, il secouera ses béquilles, il reviendra de la Poméranie, et il retrouvera son « Allemagne en selle, » comme il l’a dit. L’empereur Napoléon, dans sa forêt de Fontainebleau, passe son temps à déchiffrer les dépêches que lui expédie le prince Napoléon, tout occupé pendant son voyage à nouer la grande alliance de la France et de l’Autriche pour la solution de la question d’Orient et le rétablissement de la Pologne, tandis que la Russie et la Prusse se lient plus étroitement pour tenir tête à l’orage qui les menace. N’avez-vous pas entendu répéter que le spirituel et impétueux prince français qui est à Vienne a des entrevues prolongées avec l’empereur François-Joseph, avec M. de Beust, qu’il se dispose à visiter la Hongrie, Constantinople, et que, s’il ne va pas à Cracovie, à Lemberg, c’est uniquement par délicatesse, par un dernier scrupule, pour se dérober aux ovations d’un peuple prêt à saluer en lui le futur roi de Pologne ? Tout est convenu, et la France est prête ; vous n’avez qu’à voir dans son budget, dans le rapport sur l’emprunt, ce que lui coûtent ses arméniens. Après cela, ce n’est pas l’occasion qui manque : une étincelle suffit, un incident en Orient, une échauffourée dans le Luxembourg, où la propagande annexioniste en faveur de la France continue de plus belle, comme on vient de le voir tout récemment. Et quand il y aurait un retard de quelques mois, quand on laisserait encore passer l’été, cela ne changerait rien, c’est la guerre qui se prépare lentement et infailliblement au milieu de toutes ces vaines apparences de paix.

Ainsi on continue à parler des deux côtés, et, tout compte fait, les esprits oscillent incessamment entre ces courans contraires sans parvenir à se fixer, en se reposant tout au plus par intervalles dans une confiance vaguement agitée. Cela prouve que nous en sommes malheureusement venus à un point où il n’est pas si facile, même avec des déclarations périodiques de bonne intelligence, de raffermir un continent ébranlé. Trop de situations ont été compromises, trop de passions et d’intérêts sont en lutte, pour que la politique puisse si promptement retrouver son équilibre, pour qu’on puisse se promettre de ces périodes de paix octavienne dont on a joui dans d’autres temps, auxquelles on ne croit bien que quand elles sont passées. Aujourd’hui nous avons, pour ainsi dire, une confiance à court délai qui ne va guère au-delà d’une saison. Nous ne nous flattons pas des longues perspectives, et, même dans les momens