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pour le roi et le groupe de la cour, la monarchie était perdue ; pour Thouret et ses amis, elle n’était point encore fondée. À la séance du 14 août 1791, le comité était déjà venu déclarer par l’organe de Thouret que les changemens opérés dans le plan de la constitution « détruisaient tous les moyens de force et d’énergie du pouvoir exécutif, et enlevaient tout ce que le comité avait laissé subsister de bases efficaces pour l’établissement d’un gouvernement actif et durable. » Cette protestation du comité signalait du moins le péril et dégageait la responsabilité pour l’avenir ; elle avait été froidement accueillie parce qu’elle n’apprenait rien à l’assemblée, où elle ne pouvait ramener personne. Aussi s’adressait-elle surtout au pays, qui avait unanimement demandé la monarchie constitutionnelle dans ses cahiers, et était impatient de la voir fonctionner ; elle l’avertissait que, si le jeu de la machine ne répondait point à l’idée qu’il en avait conçue, il fallait s’en prendre, non à l’institution elle-même, mais aux difficultés qui en avaient fatalement entravé la fondation.

L’assemblée touchait à la fin de ses travaux. Thouret la présidait pour la quatrième fois, sans avoir cessé de faire partie du comité de constitution, dont il était le plus actif et le plus éloquent rapporteur. Avant d’en prononcer la clôture, au vaste programme qu’elle venait de tracer aux nouvelles législatures, l’intrépide réformateur obtint qu’elle ajoutât la rédaction d’un Code civil uniforme pour toute la France. Il descendit alors du fauteuil présidentiel, et alla occuper le siège qui l’attendait depuis plus de six mois au tribunal de cassation. C’est sur lui que le département de la Seine-Inférieure, appelé à élire un membre de ce tribunal, avait fixé son choix dès le commencement de 1791. Installé le 20 avril de cette année, il avait eu pour suppléant l’un de ses compatriotes, Ducastel, avocat distingué du barreau de Rouen. Thouret apportait à ce tribunal les grandes idées qui en avaient amené la création. Sous l’influence de tels hommes, soutenus et secondés par la presse., nul doute que cette belle institution n’eût rendu au pays tous les services qu’il devait en attendre ; mais bientôt, affaiblie et faussée par un parti violent, elle allait manquer même de la force nécessaire pour protéger la vie de ceux qui en avaient voulu faire la sauvegarde des libertés publiques. Thouret vit monter l’effroyable tempête qui devait l’envelopper avec ses amis de l’assemblée et n’en parut point troublé ; on le prévint qu’il était question de lui au comité de salut public, mais on ne put le déterminer à assurer sa sécurité personnelle. Le 24 novembre 1793, il présidait encore le tribunal de cassation et y faisait le rapport de plusieurs affaires. Le 26 au matin, il était arrêté à son domicile et incarcéré au Luxembourg. Le mandat d’arrêt n’articulait aucune accusation précise, et longtemps