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encore franchie. Le déchirement des partis s’accusait entre les diverses fractions de l’assemblée, et créait au comité de constitution d’incessans obstacles ; mais ce qui est frappant, c’est que le comité eut à lutter beaucoup plus souvent contre les partisans acharnés de l’ancien régime que contre la gauche, dont le programme était loin d’être arrêté. C’est eux qu’il avait rencontrés lorsqu’il s’était agi de statuer sur la résidence royale. C’est contre leur indignation que Thouret avait eu à se défendre pour avoir qualifié le roi de « premier fonctionnaire public. » Le mot « suppléant du roi » appliqué à l’héritier présomptif avait été raillé par Cazalès et d’Éprémesnil, et dénoncé comme une attaque à l’hérédité du trône L’amertume de ces critiques démontrait assez que la droite ne voulait rien entendre au mécanisme de la constitution. Allant au vif de la question, Thouret se demanda de quelle hérédité il s’agissait désormais. Voulez-vous parler de celle qu’une famille tient de « Dieu et de l’épée, » et qui se transmet comme un patrimoine ? Avec cela, « le fondement du despotisme est établi. » Il ne peut plus être question d’une telle hérédité. Il n’y a qu’une chose dans le principe de l’hérédité du trône, ajouta-t-il, « à savoir que la royauté n’est pas élective, mais qu’elle est héréditairement déléguée dans la famille du roi suivant l’ordre constitutionnellement établi. Fausses grandeurs, fausses propriétés, fausses doctrines, fausse autorité, faux talens, tout ce qui n’était pas à l’épreuve de l’opinion et de la raison publique a péri. Le dogme politique de la royauté pourrait périr lui-même, s’il n’était pas purgé de toutes les interpolations injurieuses à l’humanité par lesquelles l’ignorance, l’adulation et la force en ont altéré la pureté originelle. Voulez-vous assurer la stabilité des rois à la tête des nations éclairées ? Il n’y a qu’un seul moyen : faites que la prérogative royale ne répugne pas aux principes imprescriptibles de la justice éternelle, et que rien n’éloigne des hommes libres et raisonnables de s’y soumettre. » Tel est l’énergique langage que le comité tenait aux partisans de l’ancien régime. Par un dernier effort, après avoir tenté de séparer le roi de ses dangereux conseillers, sur lesquels seuls il fit peser la responsabilité de sa fuite à Varennes, Thouret défendit la royauté tout à la fois contre la droite, qui, pour compromettre la révolution, poussait aux résolutions les plus violentes, et contre l’extrême gauche, dont par cette politique perfide et maladroite on préparait l’avènement. Ainsi s’acheva ce grand travail de la révision d’où sortit l’œuvre mutilée, incomplète et boiteuse que vint accepter, le roi devant l’assemblée. Thouret, dernier président, reçut son serment et fut chargé de lui répondre. On peut dire que ni l’un ni l’autre ne partageaient l’enthousiasme que cette cérémonie excitait au dehors :