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camp, le nord dans l’autre, faire de celui-ci un vainqueur, de celui-là un vaincu : non pas qu’entre le tarif et le duel pour l’esclavage la connexion soit de tout point exacte, le répéter serait calomnier l’acte le plus noble que notre siècle ait vu s’accomplir pour le grand soulagement de la conscience humaine ; mais, cette réserve faite, il n’en demeure pas moins constant que le parti du tarif ne désarme pas sur ce chef, et entend exploiter jusqu’au bout ce fruit de sa victoire. Avec quelle âpreté et quel esprit de suite, les débats législatifs sont là pour l’attester ! Débonnaire à l’origine et procédant par intermittences, l’exaction prend peu à peu un caractère intolérable et permanent. Il suffit pour s’en convaincre de rapprocher le point de départ du point dérivée. Dans les commencemens de l’Union, le tarif des douanes n’était guère qu’un octroi de mer donnant des recettes insignifiantes ; le peuple qui venait de se soulever pour des taxes n’avait guère le goût de se taxer lourdement de ses mains. En 1816 seulement, la charge prit quelque gravité ; la guerre avec l’Angleterre avait endetté le trésor, il fallait y pourvoir. Dix années y suffirent ; dès 1828, la dette était presque éteinte. Quel parti allait-on prendre ? On avait frappé de droits divers articles, les tissus de soie et de laine notamment. Fallait-il abolir ces droits ou les maintenir ? Les défenseurs du commerce libre opinaient pour l’abolition, les partisans des industries protégées penchaient pour le maintien ; la question cette fois resta indécise, elle ne fut reprise que dans le tarif de 1833, qui mit en présence pendant deux sessions les intérêts souvent contradictoires des divers états. Les esprits s’y échauffèrent tellement que la Caroline du sud alla jusqu’à la menace d’une séparation, et ne s’en désista qu’à la suite d’un compromis signé sous l’influence d’Henry Clay. Il y était dit que tout droit de douane qui dépasserait 20 pour 100 de la valeur serait diminué d’année en année de manière à être réduit à ce taux, désormais reconnu comme limite de rigueur. Il était bien entendu d’ailleurs que ces droits auraient seulement pour objet de se procurer le revenu nécessaire à une administration économique du gouvernement : c’était exclure toute apparence de privilège.

Dans ces termes, il y eut un répit de dix ans ; Jackson y tenait la main, et Van Buren, qui lui succéda, n’osa point, quoiqu’homme du nord, répudier un legs si laborieusement constitué. Tout au plus prêta-t-il une complicité sournoise aux embarras qu’allait rencontrer la présidence de John Tyler. Ce dernier eut en effet, entre 1842 et 1843, une rude partie à jouer : les états du nord s’étaient remis résolument en campagne. Le tarif, comme ils le comprenaient, ne devait plus être seulement une source de revenu, il devait désormais agir comme moyen de protection et couvrir les industries